[ENQUÊTE] Couronnement de Charles III : la distribution britannique en ébullition

Fortement pénalisés par la suppression des services de détaxe à Londres, les professionnels de la distribution de détail espèrent connaître un sursaut économique avec la cérémonie de couronnement de Charles III. Un événement qui devrait attirer plusieurs millions de touristes au Royaume-Uni. Les retombées financières, quant à elles, pourraient atteindre 1,4 milliard de livres sterling. 

 

L’espoir d’une embellie pour les distributeurs

 

Le couronnement de leurs Majestés le roi Charles III et la reine consort Camilla en l’abbaye de Westminster le 6 mai prochain pourrait bien donner une impulsion sur le marché domestique, en particulier pour les enseignes de luxe.

Les festivités liées au couronnement du nouveau roi et de son épouse promettent d’attirer plusieurs millions de touristes, qu’ils soient nostalgiques de la royauté, patriotes ou simples curieux.

 

Et la couverture médiatique de l’événement remettra à coup sûr de nouveau sous les projecteurs le Royaume-Uni, dont la réputation a quelque peu été écornée avec le Brexit et la sortie de l’UE. De quoi redonner du baume au cœur dans un pays où le tourisme essuie de grandes difficultés héritées de deux années de covid qui ont accéléré la fermeture de points de vente sur son sol.

Mais tout n’est pas morose outre-manche. En 2022, le Royaume-Uni a ainsi réussi à attirer 29,7 millions de visiteurs. Un chiffre encourageant mais qui correspond toujours à un tiers de moins qu’avant la pandémie.

A en juger par la fréquentation générée par le jubilé de platine de la reine Elizabeth II, il y a des raisons d’être confiant. En effet, cet évènement – célébrant 70 ans de règne – qui s’est tenu à Londres du 2 au 5 juin 2022 avait attiré plus 2,6 millions de visiteurs supplémentaires, par rapport aux années précédentes.

 

© Luxury London

 

Pour le couronnement du roi, le gouvernement a décrété la mise en place d’un weekend prolongé, s’étendant du 6 au 8 mai et ce dans tout le Royaume-Uni. Magasins et propriétaires devraient mettre tout en œuvre pour attirer les clients. D’après une étude MRI Springboard, l’événement devrait entraîner une augmentation de 4 % de la fréquentation annuelle dans toutes les destinations commerciales du Royaume-Uni, les rues principales devant connaître une augmentation annuelle de 5 %.

Certaines artères commerçantes majeures de Londres se sont ainsi parées pour l’occasion d’installations éphémères comme Carnaby Street avec son arche pailletée et colorée “Coronation at Carnaby”. Ces efforts en animation restent nécessaires en raison des projections de MRI Springboard, qui prévoient un effondrement du trafic en magasin, de l’ordre de 8% le samedi – jour du sacre – par rapport au samedi précédent. Reste que le second jour férié – et dernier jour de ce weekend exceptionnel – les retailers devraient retrouver des couleurs avec des artères commerçantes amenées à connaître une hausse de leur fréquentation de 12% par rapport à l’année précédente.

La situation est d’autant plus bienvenue que le pays fait face à une économie en souffrance, proche de la récession, aggravée par une flambée du coût de la vie. Le Fond Monétaire International s’attend d’ailleurs à ce que le Royaume-Uni connaisse cette année la plus forte baisse de production de toutes les grandes économies.

Un magnet à touristes… pour Londres

 

A l’instar du jubilé de platine de la défunte reine, la capitale, en concentrant l’essentiel des festivités, devrait être la principale bénéficiaire des retombées de l’événement.

 

Londres, qui attire chaque année près de 30 millions de visiteurs, s’attend ainsi à des niveaux de fréquentation similaires voire supérieurs à ses niveaux pré pandémiques.

 

Un récent sondage par UK Inbound, association professionnelle spécialisée dans le tourisme, fait état de 16% des commerces locaux ayant constaté une progression des réservations et des recherches liées au couronnement ainsi qu’au Grand Concours de la chanson de l’Eurovision, qui doit avoir lieu à Liverpool du 9 au 13 mai prochain.

Signe qui ne trompe pas, les français se sont rués sur les billets d’avion et les hôtels de la capitale britannique. Ainsi, selon le site de réservation de voyage en ligne Kayak, les vols en partance de France à destination de Londres pour le week-end du 6 mai ont enregistré une hausse de 207% par rapport à la même période l’année dernière. Expédia, un autre site de réservation en ligne de voyages, confirme cette tendance sur la période avec des réservations qui ont bondi quant à elles de 265%.

Même signal du côté de la recherche de lieux d’hébergement sur ce week-end prolongé national avec des recherches d’hôtels en hausse de 435%.

Les américains ne sont pas en reste avec plus de 3,1 millions de ressortissants ayant visité Londres depuis le début de l’année, soit un niveau quasi-prépandémique.

Les réservations d’hôtel à Londres pour la période du 5 au 7 mai sont en hausse de 64 % pour le week-end du couronnement, par rapport à l’année précédente, selon Expédia. La majeure partie de cette demande est alimentée par le tourisme américain, suivi par les habitants du Royaume-Uni.

Une demande complétée à l’international par les visiteurs du Canada, de l’Allemagne, de la France et de l’Australie. Autant de touristes qui, au vu de la forte demande, devront payer en moyenne 313 dollars leur nuitée, contre 222 dollars l’année précédente selon Hopper, l’application de réservation de voyages N°1 en Amérique du Nord.

Des signes prometteurs alors que les chinois, second marché en valeur pour l’Hôtellerie et Restauration de prestige, sont toujours aux abonnés absents.

 

Une situation que Harrods, institution du shopping de luxe à Londres et dans le monde est parvenu à compenser sur son exercice 2022, retrouvant son niveau prépandémique, fort d’une fréquentation en hausse de la clientèle venue du Moyen-Orient.

 

Coronation Tote Bag © Harrods

 

Les touristes présents pourraient bien être tentés de visiter les résidences royales historiques (Palais de Buckingham, Château de Kensington…) ainsi que les plus fictionnelles. En effet, The Crown, la série originale Netflix à succès n’a pas été tournée dans les véritables lieux de pouvoirs, de quoi susciter la curiosité des fans.

 

Scène du mariage d’Elisabeth II dans la série The Crown (saison 1) au sein de l’Abbaye de Westminster (ici la Ely Cathedral) © Netflix

 

Et il y a fort à parier que le château de Belvoir, propriété de la famille du duc de Rutland depuis 1067, doublure du château de Windsor dans la série, attire de nombreux visiteurs.

 

Il pourrait en être de même pour la Ely Cathedral, doublure de la cathédrale de Westminster où la reine – incarnée par l’actrice Claire Foy – s’était mariée, située dans la ville historique d’Ely, surtout dans la mesure où seuls 2000 personnes, triées sur le volet sont habilitées à assister à la cérémonie dans l’enceinte de la cathédrale officielle.

Cet afflux de touristes est vu d’un très bon œil par les marques de luxe britanniques qui ont vu fondre ces derniers temps leur présence en boutique.

Longtemps place du luxe de premier ordre en Europe, Londres a perdu de sa superbe depuis le Brexit, au point de ne plus être une destination incontournable du shopping de luxe pour les touristes. La faute à la suppression de la récupération de la TVA pour les touristes extra-communautaires dans le pays.

Une situation qui profite à ses rivales européennes comme Milan, Paris, Venise et Madrid. Ce sont ainsi 5 millions de livres sterling chaque semaine qui sont dépensées en dehors du Royaume-Uni par ses ressortissants les plus fortunés et qui pourrait profiter au pays, selon les estimations de Walpole, l’organisme chargé de la promotion des fleurons du luxe britannique. Voilà pourquoi de nombreuses voix se font entendre, comme le dirigeant de Burberry, pour un rétablissement rapide de la détaxe afin de redynamiser l’activité des retailers du luxe et des grands magasins.

Longtemps considérée comme la ville la plus riche au monde, Londres a été rétrogradée à la quatrième place cette année dans le classement des métropoles abritant le plus de grandes fortunes dans le monde, dressé par Henley & Partners. Elle reste toutefois la seule agglomération européenne à figurer dans le Top 10. Les tensions sociales comme la montée de la criminalité dans la ville ont poussé de nombreuses grandes fortunes à lui préférer d’autres lieux de résidence.

Un effet de halo royal

Qu’il s’agisse de produits dérivés et autres souvenirs kitschissimes, de programmes TV et autres séries, d’expositions ou de lieux culturels…C’est un fait, la famille royale fait vendre et le couronnement du 7 mai devrait une nouvelle fois le prouver.

 

© LoveFrom

 

Sir Jon Ive ne dira pas le contraire. Ce Chief Design Officer, vétéran des grandes heures d’Apple, vient de signer, à travers sa société LoveFrom, le design du logo lié au couronnement de Charles III : le Coronation Emblem. Un seau dont l’esthétisme “rend hommage à l’amour du roi pour le monde naturel, unifiant la flore des quatre nations du Royaume-Uni ; la rose d’Angleterre, le chardon d’Écosse, la jonquille du Pays de Galles et le trèfle d’Irlande du Nord.”

La marque présente d’ailleurs un aspect qui n’est pas sans rappeler l’initiative Terra Carta.   Une distinction qui met en valeur les entreprises du secteur privé démontrant des efforts tangibles sur le plan de la durabilité. Ce design est amené à être omniprésent lors des cérémonies et des festivités liées au couronnement.

Le cabinet spécialisé dans le commerce Centre For Retail Research (CRR) considère que l’événement devrait générer 245 millions de livres sterlings en souvenirs et plus de 1,4 milliards de livres sterlings si on inclut les retombées du tourisme et de la célébration autour des différents évènements.

D’ailleurs, les marques de luxe ont bien compris l’attrait que représente la royauté, au point de compter sur l’effet de halo que procure le graal suprême de fournisseur officiel de la couronne. Un titre honorifique dont bénéficient des marques locales comme Fortnum & Mason, Aston Martin, Burberry, Barbour ou encore le fabricant de fusils de chasse Purdey (Richemont).

Bien que l’impact sur les ventes d’une telle reconnaissance soit difficilement mesurable, des Maisons comme le fournisseur de thé Fortnum & Mason déclare sur son site « être fier d’avoir détenu un mandat de sa Majesté depuis 1954, et l’avoir servi avec le reste de la famille royale toute sa vie ». Reconnue par la reine, la Maison l’a également été par son fils Charles III, ce qui garantit à la marque la pérennité d’un tel mandat, alors que le décès du monarque entraîne de facto sa révocation, à moins que son successeur ne décide du contraire. Ce précieux mandat reconnaît surtout un savoir-faire et une tradition. Charles III y a ajouté des conditions éthiques.

 

© Burberry

 

Certaines comme Burberry, fournisseur de Sa Majesté avec ses trench coats depuis 1956, a la chance de disposer de deux mandats royaux : celui de la défunte reine et celui du roi Charles III.

Fort de ce lien de confiance, la marque au chevalier sur son destrier (equestrian knight) vient de signer également une collection capsule Burberry Highgrove : un foulard dont les motifs fleuris célébrant la nature sont inspirés des jardins de la résidence du prince Charles.

 

Cette icône britannique à l’international espère d’ailleurs séduire de plus belle, forte de la revalorisation de son imageimpulsée par son nouveau directeur artistique Daniel Lee. Lequel a tiré un trait sur des années à l’esthétique punk et gothique menée par Ricardo Tisci. Certaines marques internationales comme les Maisons de champagne Mumm, Moët & Chandon ou encore Veuve Clicquot font aussi partie de ce cercle très fermé de fournisseur officiel de la couronne .

Ce titre, délivré au compte goutte, autorise des entreprises fournissant régulièrement des biens ou des services à la famille royale à communiquer sur sa proximité avec celle-ci ainsi qu’à utiliser ses armes héraldiques dans ses communications ou sur ses produits. Le blason en question représente le lion anglais sur la gauche, la licorne écossaise sur la droite armée d’un bouclier orné des emblèmes des différentes régions du Royaume-Uni. Si la reine Elizabeth a délivré 686 mandats royaux au cours de son règne (Royal Warrants), Charles III en a accordé 159 depuis son accession au trône. A contrario, une loi du parlement datant de 1887 – The Merchandise Marks Act – punit comme un délit quiconque se prévaudrait du titre, sans y avoir été préalablement autorisé.

Temple du shopping londonien, Harrods, qui ne relève pas de la liste des bénéficiaires de ces mandats royaux, a également lancé un produit collector pour l’occasion : un tote bag aux couleurs du couronnement. De quoi muscler son trafic en magasin comme sur son site internet. Sur ce dernier point, le grand magasin de Knightsbridge compte bien s’appuyer sur son partenariat stratégique avec la plateforme e-commerce de luxe, Farfetch, révélé au dernier salon du NRF à New York, pour personnaliser davantage sa relation client à distance.

Brand Finance, le cabinet de conseil leader en évaluation de marques estime ainsi que la monarchie stimulerait l’économie locale à hauteur de 500 millions de livres par an. De quoi compenser les 350 millions de livres que son train de vie coûte au contribuable.

L’expérience d’une vie

 

“Once in a lifetime”, voilà une expression anglo-saxonne qui semble motiver une bonne partie des touristes et résidents enthousiastes à l’idée d’assister de près ou de loin au couronnement. Une manière pour eux de prendre part à un morceau de l’histoire britannique. En effet, il s’agit du tout premier couronnement britannique du 21e siècle !

Pour en mesurer la portée, il suffit de se souvenir que le couronnement de la reine Elisabeth II – le 2 juin 1953 – avait été, en son temps, “l’évènement du siècle”, tandis que l’union entre le Prince William, duc de Cambridge avec Kate Middleton le 29 avril 2011 avait été considéré comme “le mariage du siècle”.

Autant dire que pour ceux qui auraient raté ces derniers – tout comme le jubilé de platine de la reine en juin dernier – un rattrapage s’impose.

 

© Uber

 

La plupart veulent d’ailleurs se plonger dans un univers qui n’a rien à envier aux contes de fées. C’est d’ailleurs ce qu’a découvert l’application de chauffeurs privés Uber. Pour marquer l’évènement, l’entreprise met à disposition de ses utilisateurs un carrosse au départ de Carriage Drive de Dulwich Park. Pour une expérience confondante de réalisme, le véhicule s’inspire grandement du « Gold State Coach« , le carrosse doré de la royauté qui transporte les têtes couronnées depuis 1762. L’escapade pseudo-royale se tiendra dnas le seul Dulwick Park, un espace vert de plus de trente hectares, situé au sud de Londres.

Cette expérience résulte d’un sondage adressé aux britanniques où 48% des sondés avait déclaré rêver se promener dans un carrosse royal.

Profitant de l’ébullition que connaît la capitale britannique, le groupe Accor en a profité pour promouvoir son dernier établissement qui doit ouvrir l’été prochain : L’Hôtel Raffles London at the OWO.

 

Grand escalier du Raffles London at the OWO © Accor

 

Le pdg du groupe, Sébastien Bazin souhaite d’ailleurs faire de l’adresse “l’une des meilleures sur la planète.”

 

De nombreux hôtels ont ainsi prévu programmes, activités ou menus à la hauteur du couronnement de Charles III. Le Dukes London propose ainsi son “Royal Connoisseur Experience”. Un séjour de deux jours dans une chambre exécutive avec petit déjeuner au caviar d’exmoor et au champagne accompagné de son traditionnel cream tea dinner composé de quatre plats.

Le Royal Lancaster propose un “Afternoon tea” composé des saveurs préférées du futur souverain. De son côté, le Dorchester Hotel propose un gâteau de cinq étages en l’honneur du couronnement tandis que sa façade se voit recouverte d’un drapé aux motifs théâtraux rappelant le sacre de la reine Elizabeth II.

 

Lounge Oscar Wilde © Cafe Royal London

 

Ancien repaire d’Oscar Wilde, George Bernard Shaw et Virginia Wolf, l’établissement 5 étoiles qu’est le Café Royal Hotel propose pour sa part sa “Crown Jewel Expérience” une nuit d’exception dans sa suite royale, avec arrivée en limousine à la tour de Londres pour voir les joyaux de la couronne, moyennant 12 995 livres (16 000 dollars).

 

© Sky

 

Enfin, pour celles et ceux qui se désoleraient de ne pas pouvoir assister à l’événement, le média britannique Sky News a eu l’idée de proposer une expérience en réalité augmentée, en partenariat avec Atlantic Productions permettant d’approcher au plus près les joyaux de la couronne, solidement gardés à la Tour de Londres.

De quoi contempler les trésors les plus exposés comme la couronne en or massif de Saint Édouard, fabriquée en 1661 pour le couronnement de Charles II, suite à la destruction de la couronne originale sur ordre d’Oliver Cromwell, lors de la guerre civile anglaise. C’est elle que portera Charles III lors de la cérémonie du 6 mai.

LVMH ne s’y est pas trompé. Communicant sur la réouverture du flagship Tiffany de 10 étages entièrement rénové en plein cœur du quartier de Manhattan, le groupe n’a pas hésité à parler de “joyaux de la couronne new yorkaise”.

Lire aussi > [Luxus+ Magazine] Petite histoire du luxe : la Maison Moët & Chandon et la famille royale britannique

 

Photo à la Une : © Luxury London

Picture of Victor Gosselin
Victor Gosselin
Victor Gosselin est journaliste spécialisé luxe, RH, tech, retail et consultant éditorial. Diplômé de l’EIML Paris, il évolue depuis 9 ans dans le luxe. Féru de mode, d’Asie, d’histoire et de long format, cet ex-Welcome To The Jungle et Time To Disrupt aime analyser l’info sous l’angle sociologique et culturel.
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