[Chronique] L’univers du parfum à l’épreuve du droit de la propriété intellectuelle

Depuis 2021, « les sons et odeurs » caractérisant les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, font partie du patrimoine commun de la nation. En parallèle, l’industrie du parfum a généré 14.88 milliards de dollars en 2022 et les prévisions font état d’une hausse constante jusqu’en 2028 pour atteindre 19.82 milliards de dollars (Etudes de Statista Consumer Market Insight et Statista). En janvier 2023, le #dupe (imitation assumée d’un produit, notamment un parfum, sans pour autant être une copie conforme de l’original) comptait des milliards de vues sur le réseau social TikTok.

 

L’engouement pour le parfum et la recherche de protection juridique par la propriété intellectuelle ne sont pourtant pas nouveaux : pour preuve, la saga judiciaire du parfum « Le Mâle » de Jean-Paul Gaultier au début du 21e siècle. A l’heure où les titulaires de droits de ce parfum, pourtant renommé, ont été déboutés par la Cour d’appel de Lyon le 16 mars 2023 des chefs de protection revendiqués (droit d’auteur, dessins et modèles, marques et actions délictuelles), il est important de rappeler certaines règles.

 

La fragrance : à la recherche d’une protection juridique adaptée ?

 

Alors que les juges du fond (tribunaux et cours d’appel) ont considéré entre le début et le milieu des années 2000 que la fragrance était protégeable au titre du droit d’auteur au sens qu’elle peut caractériser une œuvre de l’esprit, entendue comme une création de forme originale portant l’empreinte de la personnalité de son auteur, la Cour de cassation en a décidé autrement.

 

D’abord, en considérant dès 2006 que la fragrance d’un parfum procédait de « la simple mise en œuvre d’un savoir-faire » qui ne constitue pas « la création d’une forme d’expression pouvant bénéficier de la protection des œuvres de l’esprit par le droit d’auteur ».

 

Ensuite, en affirmant en 2013 que « le droit d’auteur ne protège les créations dans leur forme sensible, qu’autant que celle-ci est identifiable avec une précision suffisante pour permettre sa communication ; que la fragrance d’un parfum, qui, hors son procédé d’élaboration, lequel n’est pas lui-même une œuvre de l’esprit, ne revêt pas une forme présentant cette caractéristique, ne peut dès lors bénéficier de la protection par le droit d’auteur ».

 

Le droit des marques n’est à ce jour pas plus efficace que le droit d’auteur. Même si l’article L. 711-1 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle ouvre la porte aux marques olfactives à la suite de la transposition de la directive européenne n°2015/2436 du 16 décembre 2015 qui a supprimé l’exigence d’une représentation graphique de la marque au profit d’un signe pouvant être représenté « sous n’importe quelle forme appropriée au moyen de la technologie communément disponible », aucune marque olfactive n’a été en réalité enregistrée auprès de l’INPI, ni de l’EUIPO. Ce dernier avait pourtant ouvert la voie en admettant en 1999 que « l’odeur de l’herbe fraichement coupée » pour des balles de tennis peut caractériser une marque olfactive. Le développement des technologies, et en particulier de l’intelligence artificielle, pourra peut-être dans un futur proche permettre qu’une odeur puisse facilement être représentée d’une manière claire, précise, distincte, facilement accessible, intelligible, durable et objective et ainsi surmonter la difficulté relevée par Patrick Suskind, dans son roman Le Parfum : « Notre langage ne vaut rien pour décrire le monde des odeurs ».

 

La formule chimique d’un parfum peut être protégée par le droit des brevets sous réserve qu’il s’agisse d’une invention nouvelle impliquant une activité inventive et susceptible d’application industrielle conformément à l’article L. 611-10 du Code de la propriété intellectuelle, le parfum n’étant pas exclu du champ de la protection. En pratique, l’OEB a notamment enregistré un brevet intitulé « Compositions de parfum » sous le n°EP1926530. Toutefois, le brevet confère une protection limitée de 20 ans et implique de décrire précisément tous ses composants, ce qui n’est pas toujours souhaitable.

 

Le secret de fabrique (article L. 621-1 du Code de la propriété intellectuelle) ou encore le savoir-faire (l’article 1240 du Code civil) sont d’autres modes de protection envisageables pour la fragrance mais qui seront difficiles à caractériser en pratique.

 

Ainsi la complexité à faire reconnaître un droit sur la fragrance peut expliquer que les grandes maisons se concentrent plutôt sur le nom, le flacon et tout autre élément qui renforcera son image de marque.

 

Le flacon, le nom et l’identité visuelle du parfum : une protection juridique toute trouvée

 

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Photo à la Une : © Laura Chouette/Unsplash

 

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Corinne Thiérache

Avocat au Barreau de Paris depuis 1994, Corinne Thiérache est associée au sein du cabinet Alerion et assume la responsabilité des départements Droit des technologies et du Numérique / Propriété intellectuelle. Cette experte accompagne depuis 30 ans ses clients tant au niveau du conseil que du contentieux.

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Adrien Bansard

Inscrit au Barreau de Paris depuis février 2019, Adrien Bansard est avocat collaborateur au sein du cabinet Alerion. Il intervient en Droit de la propriété intellectuelle et Droit des technologies et du numérique, tant en conseil qu’en contentieux, pour le compte d’une clientèle française et étrangère.

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