Comme vu dans la première partie, les grands magasins et boutiques de luxe rivalisent d’ingéniosité pour capter une attention en berne et susciter le désir de leur clientèle. Plus qu’une scénographie design, il s’agit de mieux connaître et mieux servir le client. Dans ce domaine, ils peuvent faire la différence avec des plateformes ecommerce incapables de prodiguer une large palette d’émotions nées d’une expérience client unique, mémorable et foncièrement humaine.
Plongée au cœur du Retail, modèle historique de la distribution du luxe à l’aune de l’après COVID et des univers virtuels étendus du web 3.
Virtual Commerce et expérience client sans frontière
Avec des canaux allant bien au-delà de la boutique physique, du site e-commerce et des réseaux sociaux, les marques de luxe doivent assurer le suivi et la cohérence de l’expérience où que le client se trouve. Or, d’après le dernier livre blanc “Processer les Emotions” du cabinet MAD, 66% des clients qui percevraient une forme de défaillance dans l’expérience de marque omnicanale seraient bien plus enclins à se détourner de la marque.
Alors que la technologie se fait plus rare en boutique dans le luxe, elle devient, en revanche, bien plus visible hors les murs. Expositions temporaires, évènements et salons professionnels deviennent autant de prétextes pour transporter le client vers des univers 3D immersifs. De nouveaux espaces expérientiels, propulsés par la déferlante de cet internet décentralisé que l’on nomme Web3. Une démarche qui contribue autant à une prolongation personnalisée et communautaire de l’expérience en boutique, qu’à une démocratisation via la blockchain de l’usage des crypto-monnaies et des objets digitaux rares que l’on nomme NFT (Non Fungible Token).
Web 3 et boutiques virtuelles
Avec le Web 3, l’expérience magasin à distance prend une nouvelle dimension communautaire et immersive.Après avoir connu la phase de consultation de la donnée aux débuts d’internet (web1), celle de la consultation et de la création de la donnée via la blogosphère et les réseaux sociaux, place à l’étape suivante. Synthèse des deux périodes précédentes, le Web 3 y ajoute la propriété. En d’autres termes, les internautes peuvent enfin reprendre le contrôle sur leurs créations et les monétiser.
L’expression la plus connue de ce nouveau “Far Web” a longtemps été le “métavers”. Or, depuis la préemption du mot Méta l’année dernière par Mark Zuckerberg pour renommer la société mère de ses entreprises Facebook et Instagram, on parle désormais plus volontiers d’“univers virtuels décentralisés”. Des univers virtuels qui ont beau être apparus aux alentours des années 2000 (1997 en France avec le Deuxième Monde par Canal + puis 2007 avec Second Life), jamais ils ne connurent autant d’engouement que lors de ces deux dernières années.
Ainsi, le concept du Deuxième monde qui permettait de déambuler dans les rues d’un Paris pixellisé est remis au goût du jour en 2023 avec le projet Love In Paris par Metaverse Studio x Sandbox. Une expérience permettant de visiter des lieux emblématiques et de rencontrer des personnages iconiques, tels que Edith Piaf, Jules Vernes ou encore Victor Hugo.
Stéphane Gallieni, fondateur de l’agence créative de luxe Balistik Art est également un pionnier du web 3, domaine auquel il vient de consacrer un ouvrage didactique. Son agence est ainsi à l’origine des premières activations de marques sur ce qui était le tout premier métavers international : Second Life. En 2007, il y a ainsi accompagné des Maisons aussi prestigieuses que Jean-Paul Gaultier, Lancôme (à l’époque propriété de la famille Courtin Clarins) ou encore Thierry Mugler.
Un proto-métavers dont le succès fut aussi fulgurant que furtif, puisqu’un an plus tard, ce monde virtuel tomba en désuétude. Ce n’est qu’en 2021, que le métavers refait parler de lui de plus belle au point de générer plus de 150 univers virtuels différents à l’échelle mondiale, comme Roblox ou Decentraland.
Boutique virtuelle
Pour Stéphane Gallieni, malgré l’extrême diversité de métavers, le modèle a ses invariants : “il s’agit d’univers virtuels, immersifs, imbriqués et surtout persistants (actualisés en temps réel même lorsque l’utilisateur n’est pas connecté). Une expérience vécue dans la peau de son avatar à mi-chemin entre l’interaction des réseaux sociaux et l’univers ludique du jeu vidéo.”
Chez des distributeurs désireux de s’implanter dans ces nouveaux univers, la boutique virtuelle apparaît comme le cas d’usage le plus répandu. Ce modèle a l’avantage de résoudre un vrai point de friction dans l’expérience luxe digitale : la mise à distance du produit de luxe par la 2D. A contrario, la 3D permet au client d’observer le produit de luxe sous tous les angles. Avec les progrès technologiques enregistrés dans la réalité augmentée et l’ultra haute définition 4K, le client peut même essayer un produit confondant de réalisme en vue subjective, comme si c’était lui qui portait la bague ou la montre en question. Un jumeau numérique que son avatar peut librement arborer en tant que tel ou juste essayer en vue d’un achat physique. Il peut ensuite payer avec sa carte bleue ou d’autres solutions de paiement. Il en ressort “une expérience mémorable à mi-chemin entre ce que le client aurait vécu en magasin et le facility commerce (ouvert 24/24 7/7)”.
Ce retail 3.0 ou V commerce (Virtual Commerce) est constitué d’espaces phygitaux mixant expérience en boutique et sur le digital. Stéphane Galienni (Balistik Art) relève deux points d’extension répondant à ce V commerce émergent dans l’expérience luxe. D’une part, des dispositifs en réalité augmentée sur application mobile ou en magasin où le client a la possibilité de recevoir des points de récompense en fonction de son engagement et de ses actions. D’autre part, le V commerce peut prendre la forme d’un duplicata virtuel du magasin physique – y compris sous une forme fantaisiste – avec une fonction e-commerce en virtual shopping, comme chez Lacoste avec son projet UNDW3.
Pionnières
“Des entreprises ont pris les devants. Tout n’était certes pas parfait mais il y a eu cet effet de communication autour d’initiatives intéressantes, de quoi voir se profiler les fondamentaux du point de vente de demain” note Stéphane Gallieni (Balistik Art).
Présente sur le salon Vivatech 2022, la Maison Dior avait ainsi dévoilé en avant-première son expérience en réalité augmentée permettant à l’internaute – comme au mobinaute – d’arpenter la boutique Dior 30 Montaigne dans sa version virtuelle. Depuis, d’autres initiatives ont vu le jour. La marque de maroquinerie allemande EEVARIA. Ria a ainsi conçu avec l’agence Rave.Space sa boutique virtuelle, présentant ses produits en 3D tandis que l’antiquaire parisien Gismondo & Darmo, accompagné de la startup Societhy, a proposé une galerie virtuelle où mobiliers, peintures et sculptures étaient vendus sous forme de NFT ultra haute définition donnant aussi accès à l’oeuvre physique.
Le fondateur de l’agence Balistik Art met toutefois en garde les professionnels face à la plupart des initiatives web3 récentes encore trop exécutées sous un angle web2, notamment via le renvoi à de simples fiches produits e-commerce 2D : “Souvent il y a une méconnaissance des audiences, des outils comme du champ des possibles. Par ailleurs, trop de personnes restent persuadées que ces univers virtuels ne sont accessibles que via un casque Oculus hors de prix. Or, il est tout à fait possible d’accéder à de telles expériences immersives par un simple smartphone ou un ordinateur portable.”
Gucci : bon élève du retail 3.0
[…]
Photo à la Une : © Fortnite