La conquête du luxe en Corée repose en grande partie sur le soft power que promet la Hallyu. Une vague de produits culturels coréens, faite, entre autres, de musiques, de séries et surtout d’Idols qui a d’autant plus d’impact à l’échelle mondiale qu’elle est viscéralement optimiste.
Nous l’avons vu lors de notre précédent épisode, la force de la Hallyu ne repose pas que dans sa capacité à être la vitrine de la “creative economy” locale. Si K-pop, K-drama et autre Manhwas (bds coréennes) font autant mouche, c’est qu’il se font les véhicules de valeurs partagées par le plus grand nombre.
Un point déterminant dans le choix des marques de luxe d’opter pour des ambassadeurs issus de ces univers étendus.
Le divertissement coréen à l’assaut du monde
Deux industries ont été particulièrement prolifiques dans la diffusion de la culture coréenne et de ses valeurs : les séries TV (K-drama) et la musique (K-pop).
Moins de 15 ans après la théorisation de la méthode de production, les séries TV ont déferlé sur l’Asie et le Moyen-Orient dès la fin des années 1990.
La vague coréenne (Hallyu) n’a toutefois conquis l’occident qu’au milieu des années 2000.
Si bien que dès 2015, le soft power coréen gagne les Etats-Unis, il faudra toutefois attendre 2019 pour que la K-pop ne soit plus considérée comme un genre musical de niche.
Girls Generation, BTS, BlackPink, Aespa, New Jeans… toute une flopée de groupes sortent hits sur hits, entouré des meilleurs et servis par des interprètes sur-entrainés.
Derrière cette production effrénée de groupes à l’efficacité éprouvée, on trouve pour l’essentiel quatre majors de divertissement : SM Entertainment (Girls Generation) considéré comme le pionnier de la méthode de production et de la distribution de K-pop ; YG Entertainment (BlackPink) ; JYP Entertainment et enfin HYBE, ex-Big Hit Entertainment entré en bourse en 2021 (BTS). De son côté, SG Entertainment fait figure de pionnier dans le sponsoring de marques de luxe.
Celle que l’on appelait auparavant Big Hit Entertainment était une des quarantes plus grandes valorisations boursières de Corée du Sud, soit 7,4 milliards d’euros à fin 2020.
Cette dernière a plus que pris pied dans ce qui apparaît comme le nouveau marché cible des productions K-pop : les Etats-Unis.
C’est ainsi qu’en 2021, Big Hit Entertainment, devenue HYBE a racheté Ithaca Holdings, le studio qui gère des artistes comme Justin Bieber et Ariana Grande, pour environ 1 milliard de dollars. En février dernier, elle a acquis Quality Control Music, le label de rap d’Atlanta. Ces accords ont permis à HYBE de plus que doubler son chiffre d’affaires, dont les trois quarts proviennent désormais de l’extérieur de la Corée du Sud.
Contrairement à une idée reçue, ce n’est pas le chanteur Psy et son titre Gangnam Style, écrit en coréen et sorti en 2012, qui a propulsé la K-pop sur la scène internationale. Mais c’est bien la percée dans les charts américains du groupe BTS grâce à l’emploi de l’anglais qui a été déterminante.
Comme le fait remarquer l’auteure et sociologue Sophie Octobre : “Psy, en tant qu’univers artistique – comme en tant que production coréenne – avait tout d’un OVNI. Dans son morceau devenu viral, ce chanteur-producteur se moquait surtout du phénomène K-pop. Or, à sa sortie, beaucoup de commentateurs ont raté l’aspect second degré du message. Toutefois, cette sortie a beaucoup contribué à la reconnaissance de la k-pop par le grand public.”
Si Psy a atteint le milliard de vues en six mois, beaucoup notent qu’il aura été une réussite “accidentelle”, dans le sens où le chanteur ne répondait pas à l’esthétique d’ordinaire défendu par les studios de k-pop.
Des valeurs universelles et optimistes
Si la Hallyu a une longueur d’avance sur le modèle américain, c’est grâce à son optimisme à tout crin.
Une posture qui contraste avec une Amérique rattrapée par ses démons depuis l’attaque du World Trade Center et qui ne parvient plus à proposer autre chose que des adaptations de super-héros/anti-héros dans des univers de plus en plus noirs.
En témoigne, Batman, le justicier milliardaire, dont les dernières aventures ont été vantées comme étant “encore plus sombres”. Dans l’industrie musicale aussi, l’Amérique a déversé ces dernières années des titres aux paroles de plus en plus négatives et tristes. C’est ce qui ressort de l’étude publiée en décembre 2018 par la Lawrence Technological University. Recourant à l’intelligence artificielle “Tone Analyzer”, le chercheur Lior Shamir a analysé quelque 6000 morceaux sur la période 1951 à 2016. Il a constaté que la consommation de chansons dont les paroles évoquent la joie, la confiance et l’ouverture étaient en net déclin, comparé à celles évoquant la rage, le dégoût, la peur et la tristesse.
Le phénomène s’est accentué avec l’arrivée des nouvelles artistes de punk pop adulées de la Gen Z comme Billie Eilish ou Olivia Rodrigo.
Outre Atlantique, l’heure n’est plus à la célébration de l’amour partagé ou désiré mais bien au ressentiment, à l’éloge du célibat et à la revenge song, autant de thèmes que l’on retrouve chez Miley Cyrus avec son titre et son clip “Flowers”, véritable règlement de compte avec son ex, l’acteur américain, héros de la saga Les Gardiens de la Galaxie, Liam Hemsworth.
Autre signe de cette morosité virale, on remarque la réécriture de certaines mélodies à l’aune de ces tendances. Ainsi, pour leur reprise en 2022 de la mélodie “I Just Call To Say I Love You”, titre phare de Stevie Wonder sorti en 1984, Neiked, Anne-Marie et Latto renommèrent leur chanson “I Just Call To Say I Hate You”.
A l’inverse, les titres musicaux de K-pop, qu’il s’agisse de BTS, New Jeans, Fifty Fifty ou encore Black Pink, proposent des titres plutôt fleur bleue où il est question d’amour avec un grand A sur un rythme entraînant et à grand renfort de paroles qui claquent.
Contrairement aux productions américaines, ici aucune violence, “F words” ou sexualisation des relations interpersonnelles ne filtrent. Autant dire, des propos consensuels qui rendent ces productions musicales aussi bien adaptées au marché asiatique qu’aux pays du golfe. Ces derniers – en particulier les Emirats et l’Arabie Saoudite – sont d’ailleurs très friands des séries coréennes.
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Photo à la Une : L’actrice Hong Cha Young et son sac Antigona de Givenchy dans la série Vincenzo © Netflix