Lancé en toute discrétion durant le confinement, le concept des salons Chanel gagne deux nouvelles villes en Chine : Shenzhen et Guangzhou.
Moins connues du grand public que Beijing et Shanghai, ces deux destinations ont l’avantage d’abriter les grandes fortunes de l’Empire du Milieu au point d’avoir été ces dernières années parmi les points de chute préférés des marques de luxe pour implanter leurs boutiques.
Deux nouvelles destinations
Coutumière du fait depuis la pandémie, la Maison Chanel a une nouvelle fois choisi de jouer la carte de la discrétion pour l’ouverture de deux nouveaux points de vente en Chine.
Des boutiques d’un genre nouveau, puisqu’il s’agit de ses Chanel Salon, des écrins accessibles uniquement sur rendez-vous et réservés à la crème de la crème de la clientèle de la Maison parisienne, relevant de ses VICs (Very Important Clients).
Après l’inauguration de ses salons dans le grand magasin SKP Beijing et dans le centre commercial Plaza 66 de Shanghai, place à ces deux nouvelles destinations que sont Shenzhen et Hangzhou.
Le premier Chanel Salon, implanté dans le centre commercial MixC de Shenzhen, non loin d’une boutique plus conventionnelle de la marque, propose un espace de 399 m². Elle occupe l’ancien emplacement d’une boutique du tailleur américain Brooks Brothers. D’après les médias locaux, la rénovation de la boutique aurait coûté près de 6 millions de dollars.
Le second Chanel Salon est quant à lui situé au deuxième étage du centre commercial Taikoo Hui de Guangzhou.
Derrière une entrée discrète en noir et blanc, le salon de 297 m² dévoile pas moins de quatre cabines d’essayage et un lounge public, d’après des photos postées sur le réseau social chinois Xiaohongshu (RED).
Un club social, emblème de l’ère Quiet Luxury
C’est en octobre dernier, lors d’une conférence téléphonique sur les résultats du groupe que la Maison de la rue Cambon a révélé son intention de déployer son concept de Salons VIP, en commençant par l’Asie.
Une décision qui s’inscrit dans l’ère du Quiet Luxury ou Luxe Discret. Aussi appelé Stealth Luxury – luxe furtif – cette tendance récurrente dans l’histoire en période de récession économique et d’incertitude consiste à ne pas trop s’épancher vestimentairement sur sa fortune et d’opter pour des tenues qui passeraient allégrement pour ce qu’elles ne sont pas, à savoir des pièces achetées auprès de spécialistes de la fast fashion comme Uniqlo ou Zara.
Cette dimension de camouflage à des fins de préservation évidente – face à la montée des tensions sociales et au mouvement “Eat The Rich” – se double d’une dimension culturelle, permettant au porteur de signifier sa distinction par quelque chose que seuls les êtres biens nés peuvent maîtriser : l’élégance.
Ce parti pris qu’adoptent les héros de la série Succession (HBO) – issus du monde des Old Money – permet de recréer l’écart avec les nouveaux riches et autres parvenus adeptes de logos bien voyants.
Ce qui frappait déjà lors de l’ouverture du Chanel Salon au Plaza 66 de Shanghai l’année dernière, c’était bien la devanture.
Sur le fronton du Salon Chanel, nulle mention de la griffe, à la place, on découvre un énigmatique “31 Cambon”. Il s’agit de ne s’adresser qu’aux seuls connaisseurs et d’éviter la curiosité déplacée de certains touristes, plus à même d’acheter du parfum qu’une pièce haute couture de la Maison.
C’est en tout cas ce qui est ressorti en filigrane d’une présentation de Philippe Blondiaux, directeur financier du groupe, lors de la publication des résultats annuels en mai 2022 et relayée par le média spécialisé Jing Daily.
« Notre plus grande préoccupation est de protéger nos clients et en particulier nos clients existants. Nous allons investir dans des boutiques très protégées pour servir les clients d’une manière très exclusive » .
Cette approche mystérieuse où rien ne filtre – ou si peu – n’est pas sans intriguer les Internautes sur la plateforme Xiaohongshu, qui désignent ces boutiques comme de “Little Black Rooms”. Un clin d’œil qui renvoie aussi bien à la petite robe noire – créé par Gabrielle Chanel en 1926 – qu’à l’opacité des lieux.
A l’abris des regards indiscrets, c’est toute une série d’événements et de rituels qui peuvent librement s’y dérouler comme des présentations de collections très intimistes, des pré-commandes prioritaires exclusives, des rassemblements entre personnes de qualité, des fêtes d’anniversaire ou encore des cours éducatifs de haute volée…
Si l’espace est spacieux avec de grands et confortables canapés en tweed, il ne reste accessible qu’à une poignée de clients existants de la Maison Chanel, parmi les plus loyaux.
Ce concept qui vise à dissocier et mieux cibler les UHNWI et les HNWI – respectivement des individus disposant d’un patrimoine investissable de 50 millions de dollars et 1 million de dollars – n’est pas sans rappeler la dernière initiative de Gucci.
Accusant le coup suite au départ précipité de son directeur artistique maximaliste, Alessandro Michele, la marque phare du groupe Kering a inauguré cette année le concept des Gucci Salons à Los Angeles où n’entrent que les personnes capables de mettre 40 000 dollars au minimum.
Avant Gucci, Chanel, Dior mais aussi Louis Vuitton avaient aussi déployé leur Salons VIPs.
Si Chanel peut se permettre d’investir dans son réseau retail c’est grâce à des résultats records enregistrés sur l’exercice 2022 avec un chiffre d’affaires de 17,2 milliards de dollars. La zone Asie-Pacifique a permis à la Maison de luxe de réaliser près de 50% de ses ventes, compensant ainsi le ralentissement du marché américain.
Des villes stratégiques
Le choix de ces deux villes par Chanel ne relève en rien du hasard.
Shenzhen a d’ailleurs été annoncée par Chanel comme la future destination de son défilé croisière 2024, succédant ainsi au cadre très hollywoodien de Los Angeles.
Shenzhen n’est autre que la Silicon Valley chinoise, qui abrite la fine fleur des talents de la haute technologie.
On y trouve le siège social de Tencent – maison mère de Wechat – mais également ceux du fabricant de téléphones mobiles Huawei et du constructeur automobile BYD.
Cette ville de 12,59 millions d’habitants (2021) est bien connue du luxe puisque c’est dans cette ville que Hermès a implanté sa dernière boutique et c’est ici aussi que Burberry a proposé son concept de boutique sociale en collaboration avec le géant des télécommunications Tencent.
D’après le classement World Wealthiest Cities Report 2023 du cabinet Henley & Partners, la ville offre également l’avantage d’afficher la plus forte croissance du nombre de HNWI : +98% entre 2012 et 2022, soit un total de 45 700 individus.
D’après la Hurun Rich List, Shenzhen abriterait même plus de milliardaires que Londres (94). Pour Henley & Partners, la ville recenserait deux fois plus de millionnaires que des villes comme Monaco, Abu Dhabi ou Riyad.
Guangzhou – soit Canton dans sa version francisée – est quant à elle bien plus connue. La ville qui comptait 15,31 millions d’habitants en 2019 est celle qui a permis d’associer la Maison Hermès à la tendance du revenge spending en Chine. Le jour de la réouverture de son flagship de 510 m² en avril 2020, la marque avait réalisé 19 millions de yuans de ventes (2,69 millions de dollars).
C’est en effet là-bas que la Maison du Faubourg St Honoré a réalisé des ventes records au sortir du confinement. Affichant une croissance du nombre de HNWI plus modeste que Shenzhen, la ville peut néanmoins se targuer de disposer de 23 500 HNWNI. A cela s’ajoutent 8 milliardaires et 64 multimillionnaires en 2023.
Chanel ne compte pas s’arrêter en si bon chemin dans son expansion chinoise : elle projette d’ores et déjà l’ouverture de deux nouveaux points de vente dans la ville de Chengdu d’ici octobre 2023.
A cette date, un nouveau Salon devrait ouvrir aux côtés d’une boutique entièrement rénovée dans le centre commercial IFS Chengdu.
Chanel renforce ainsi par le point de vente retail le sentiment d’exclusivité de sa clientèle, comme elle l’a fait dernièrement par sa stratégie de prix, se calquant sur la trajectoire haussière du Birkin de Hermès pour son sac Timeless.
Lire aussi > Chanel lance sa collection de nail art
Photo à la Une : © Presse