Le cabinet Bain & Company et la fondation Altagamma, l’association professionnelle des marques de luxe italiennes, ont publié aujourd’hui leur rapport du printemps 2023 faisant l’état du marché des biens de luxe personnels. Et sa tonalité est plutôt optimiste même si plusieurs défis, dont celui du développement durable, attendent les acteurs au tournant.
Le marché mondial du luxe a réalisé une année record en 2022, en atteignant une valeur de 345 milliards d’euros, malgré les tensions géopolitiques et l’incertitude macroéconomique. Cette dynamique s’est maintenue au premier trimestre 2023, avec une croissance de 9 à 11 % par rapport au premier trimestre 2022. C’est l’un des enseignements majeurs du rapport, baptisé Luxury Goods Worldwide Market Study Spring 2023, que viennent de publier le cabinet Bain & Company et la fondation Altagamma, l’association professionnelle des marques de luxe italiennes.
L’étude attribue cette croissance du premier trimestre 2023 à plusieurs facteurs, dont notamment la diminution progressive de l’hyperinflation, le rétablissement de la confiance des consommateurs en Europe, la réouverture de la Chine ayant levé les restrictions de sa politique zéro Covid avant le Nouvel An chinois, ou encore à la dynamique positive au Japon et en Asie du Sud-Est, soutenue par le tourisme intrarégional.
La situation doit cependant être nuancée selon les zones géographiques. Un ralentissement est ainsi attendu aux États-Unis en raison de la prudence des consommateurs face à une éventuelle récession.
Disparités régionales
Malgré des économies non utilisées d’environ 900 milliards de dollars, les États-Unis ont déjà réduit leurs dépenses en raison des incertitudes économiques. Les clients américains les plus riches résistent, mais ils déplacent une partie de leurs dépenses à l’étranger à mesure que les écarts de prix se creusent. Dans ce contexte, les consommateurs américains de produits de luxe se concentrent sur l’achat de pièces prestigieuses. On assiste aussi à une rééquilibration de la carte du luxe. Des acteurs majeurs tels que New York et la Californie reprennent leur place sur le devant de la scène, tandis que des destinations touristiques comme Hawaï et Las Vegas remontent lentement la pente sans encore atteindre les niveaux records de 2019.
L’Europe a commencé l’année en force, enregistrant des performances solides au premier trimestre, principalement grâce à ses clients les plus importants. Cependant, la région se prépare à une « épreuve de vérité » qui testera sa résistance pendant l’été, car l’afflux continu de touristes en provenance des États-Unis et du Moyen-Orient au cours du premier semestre devrait diminuer progressivement. Toutefois, au cours des derniers mois, l’Europe a vu le retour de ses premiers touristes chinois, et il est prévu un retour de plus en plus soutenu plus tard dans l’année.
La Chine continentale, qui a connu une croissance au premier trimestre, devrait aussi connaître une nouvelle hausse cette année, permettant à certaines marques de retrouver les niveaux de 2021. Entre-temps, le marché asiatique connaît des changements, avec l’émergence de nouveaux pôles du luxe. Depuis la réouverture du pays, Hong Kong et Macao sont devenues des destinations touristiques majeures pour les Chinois, enregistrant une forte augmentation (d’une valeur de marché d’environ 5 milliards d’euros en 2022). L’Asie du Sud-Est poursuit sa croissance impressionnante, soutenue par les dépenses des touristes russes, l’arrivée des premiers consommateurs chinois et un appétit croissant pour la joaillerie et l’horlogerie (d’une valeur de marché d’environ 12 milliards d’euros en 2022).
En revanche, la Corée du Sud ralentit bien que le secteur du travel retail y soit stimulé par les dépenses des touristes d’Asie du Sud-Est (d’une valeur de marché d’environ 21 milliards d’euros en 2022). Le Japon est en train de redevenir une étoile montante pour le secteur : alors que les clients locaux maintiennent leur rythme de dépenses, la croissance vient des touristes étrangers friands d’accessoires tendance, et qui atteignent ainsi une valeur de marché d’environ 24 milliards d’euros en 2022).
Acheter moins mais mieux
L’étude révèle une tendance à une montée en gamme dans toutes les catégories de produits, portée par des pièces emblématiques et le très grand luxe, avec des clients privilégiant l’achat de « moins, mais mieux ». Les catégories les plus performantes sont l’horlogerie, avec une croissance stimulée par les modèles iconiques de quelques grandes marques, ainsi que la joaillerie, notamment grâce aux pièces de haute joaillerie. Les sacs iconiques jouent un rôle aussi moteur en étant de plus en plus perçus comme des actifs de valeur. Les ventes de chaussures, en plein essor en Asie mais en ralentissement dans le monde occidental, ne se limitent pas aux seules baskets. Dans le domaine de la beauté, l’étude met en évidence une croissance des parfums, soutenue par des offres spécialisées et la reprise des achats en duty-free, tandis que le maquillage et les produits cosmétiques continuent sur des courbes positives et encourageantes.
« Le luxe vit une nouvelle ère qu’on pourrait appeler celle du « littéralement moi » : les clients ne recherchent plus uniquement des articles statutaires et aspirationnels, ils veulent des produits uniques », déclare Joëlle de Montgolfier, Directrice de la Recherche du Pôle luxe mondial de Bain. « Beaucoup de nouvelles marques surperforment, mais elles entrent en concurrence frontale avec les géants du luxe. Pour rester pertinentes à long-terme, ces marques vont devoir continuer à entretenir leur esprit rebelle, à déployer la vision de leur fondateur, à lancer des produits « stars », tout en outillant leur organisation pour soutenir la croissance à long-terme. »
En ce qui concerne les canaux de distribution, le secteur du travel retail se redresse enfin après une attente prolongée, grâce à la dynamique de l’Asie du Sud-Est et du Japon. Les boutiques en propriété exclusive continué leur croissance soutenue depuis 2022, alimentée par un intérêt croissant pour les expériences en magasin, qui intègrent à la fois la connexion avec le produit et la relation avec les ambassadeurs de vente.
Principaux défis et opportunités à venir
Le rapport de Bain et Altagamma relève qu’au cours des trois prochaines années, les marques de luxe seront confrontées à des pressions réglementaires en matière de développement durable. Elles seront obligées de prendre des mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de leur chaîne de valeur. Mais elles devront ainsi trouver des moyens de dissocier la croissance attendue de leurs activités de la croissance absolue des émissions nocives.
L’intelligence artificielle aura aussi un impact sur toutes les étapes de la chaîne de valeur du luxe, allant de la distribution à la créativité, bien que son influence soit encore limitée. Elle est en train de révolutionner les compétences requises dans toutes les fonctions. Comme nous l’avons vu avec la transition vers le numérique, les leaders de demain seront ceux capables de maintenir une longueur d’avance et de créer un avantage concurrentiel en tirant parti des nouvelles technologies.
« Le secteur du luxe entre dans une nouvelle phase, après la croissance consécutive à la pandémie. De nouveaux critères de performance et de résilience sépareront les gagnants et les perdants », déclare Mathilde Haemmerlé, associée de Bain en charge du pôle Luxe en France. « Les marques qui veulent réussir doivent développer une connaissance à 360° de leurs clients, équilibrer leur exposition aux différentes régions, et proposer aussi bien des pièces intemporelles et iconiques que des expériences inoubliables. »
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