[INTERVIEW] Romain Brabo (Nona Source) : “ Notre souhait : accompagner la communauté créative vers plus de réutilisation créative”

Ancien acheteur et responsable qualité chez Givenchy puis Kenzo, Romain Brabo est Co-Fondateur et Co-Directeur Général – avec Anne Prieur du Perray et – de Nona Source, la plateforme de revalorisation des stocks dormants appliquée au secteur du luxe. Venant de fêter sa troisième année, cette “ressourcerie créative” intègre les enjeux environnementaux sous l’angle de l’économie circulaire.

 

LUXUS PLUS : Comment est née cette idée de revaloriser les stocks dormants des Maisons du groupe LVMH ? 

 

Romain Brabo : En tant qu’acheteur matière chez Givenchy, j’ai été amené à rendre visite régulièrement aux fabricants et à nos entrepôts. La quantité de matières non utilisées (stocks dormants), résultant de surplus de fin de saison, m’a particulièrement interpellé. Je me suis rendu compte qu’il ne s’agissait pas d’une problématique isolée mais bien partagée par l’ensemble des Maisons du groupe LVMH. En parallèle, je connaissais de jeunes créateurs qui étaient dans l’impossibilité d’acquérir de belles matières, soit en raison de minimums d’achat de matière trop élevés, soit en raison de prix extrêmement élevés pour avoir de la haute qualité.

 

C’est alors que j’ai eu l’idée d’insuffler cette démarche de circularité créative au sein du Groupe, en mettant en relation les tissus dormants des plus grandes Maisons de luxe avec des professionnels de la mode et du design. La création du programme d’intrapreneuriat DARE par le Groupe en 2017 a donné le coup d’envoi du projet. Ce dernier a d’abord débuté sous forme de side-project, avant qu’au détour d’une mobilité interne chez Kenzo, je fasse la connaissance des deux autres co-fondateurs.

 

L+ : Quels ont été les rôles de ces co-fondateurs dans le développement de Nona Source ? Comment vous complètent-ils ? 

 

Romain Brabo : J’ai d’abord rencontré Marie Falguera, experte matières, chargée de la conformité des produits et correspondante environnement chez Kenzo. En échangeant sur le projet, nous nous sommes trouvé une passion commune pour la création et les problématiques environnementales. Nous nous sommes alors associés sur le programme DARE, afin de porter le projet. Quelques mois plus tard, j’ai rencontré Anne Prieur du Perray qui travaillait chez LVMH et avait un profil plus transversal lié à la gestion de projet ainsi qu’à la gestion financière.

 

Aujourd’hui, Anne et moi-même sommes Co-DG et nous avons à cœur d’accompagner la mise à l’échelle de la start-up avec des projets toujours plus ambitieux. De son côté, Marie fait le lien avec toutes les Maisons. Un bon moyen de ne pas se contenter de soutenir la jeune création mais également de permettre à nos propres Maisons d’intégrer des enjeux de circularité dans leurs processus créatifs.

 

Co-fondateurs de Nona Source avec Thomas Brabo (Business Development), Anne Prieur du Perray (Opérations) et Marie Falguera (Produit) © Nona Source/LVMH

 

L+ : Vous avez bénéficié d’une période d’incubation de quatorze mois seulement ! Comment l’implication du programme DARE a contribué au succès et à l’accélération du projet ? 

 

Romain Brabo : Ce programme d’intrapreunariat de LVMH nous a accompagnés sur la mission ainsi que sur les budgets d’amorçage. Cet accompagnement a été crucial pour transformer l’idée en solution. Il nous a aussi permis de réaliser plus sereinement notre Proof of Concept (POC), autrement dit de pouvoir démontrer, en un temps donné, les bénéfices tangibles de la solution, encore en développement. DARE, c’est aussi un programme transverse qui est connecté à tout l’écosystème LVMH. Il nous a ainsi introduit auprès des bons sponsors, mentors et experts métiers au sein du Groupe. En effet, ce dispositif nous a permis de réduire considérablement la durée d’incubation de notre start-up et d’accélérer son lancement. Ainsi, la marque Nona Source a été officiellement lancée dès avril 2021 et nous avons intégré son pilotage.

 

L+ : Au-delà de la démarche environnementale, Nona Source est également une expérience digitale singulière. Pouvez-vous nous en dire davantage ? 

 

Romain Brabo : Lorsque nous avons lancé Nona Source, nous voulions être bien plus qu’un simple partenaire de créateurs, fournissant des matières de qualité. Nous voulions aussi apporter de l’innovation dans notre proposition, à travers le digital. Nous nous sommes alors demandé comment retranscrire, malgré la distance, la sensation d’un toucher et d’un drapé de tissu. Nous avons analysé l’ensemble des codes, observé des designers à l’œuvre pour comprendre quels étaient les mouvements répétés d’une matière à l’autre. Puis nous avons essayé de retranscrire toute cette expérience en ligne.

 

L+ : Une ambition du tout digital qui a néanmoins montré ses limites…  

 

Romain Brabo : C’est extrêmement compliqué pour des designers pointus de s’inspirer et de regarder des matières à travers un écran, sans possibilité de les toucher.  Si on a décidé d’ouvrir notre premier showroom à Paris, c’était justement pour faciliter cette connexion avec la matière mais pas n’importe comment. Nous voulions proposer une expérience alignée avec les standards du luxe. Ainsi, on ne reçoit qu’en session privée, sur rendez-vous. Pendant une heure, le créateur est accompagné par un expert matières, qui le guide dans son choix, comme dans le sourcing de sa prochaine collection. Par ailleurs, notre implantation au sein de La Caserne – haut lieu de la mode circulaire à Paris – est un message fort pour réaffirmer notre positionnement responsable.

 

Capture d’écran de la plateforme digitale Nona Source © Nona Source/LVMH

 

L+ : Une mission circulaire qui gagne en effet à être davantage connue. D’ailleurs, ce concept de réutilisation créative a dernièrement été pour la première fois incarné par des ambassadeurs avec votre collectif « Mindful Creatives »… 

 

Romain Brabo : Depuis près de deux ans, nous souhaitons accompagner la communauté créative vers plus de réutilisation créative afin de créer une dynamique autour de la circularité. Cela implique pour un designer d’embrasser ce qui est pour moi l’enjeu de la mode de demain : créer à partir de ressources préexistantes, plutôt qu’avec des tissus à la demande.

 

Pour accroître la visibilité de notre démarche, nous venons de lancer notre programme “Mindful Creative Collective”. Ainsi, chaque année, nous désignerons parmi les clients designers qui nous inspirent des ambassadeurs pour incarner ce mouvement. Pour cette première saison, nous avons nommé le français Victor Weinsanto, un créateur talentueux, qui a déjà travaillé aux côtés de Jean-Paul Gaultier. Nous avons également choisi Nensi Dojaka, une designer albanaise, basée à Londres, très portée sur les codes de la transparence et de la mode responsable, lauréate du LVMH Prize 2021. Nous y avons aussi intégré Karoline Vitto, une designer brésilienne, basée à Londres, qui célèbre les courbes et place le corps au centre de son processus créatif durable. Enfin, nous avons nommé Cecilie Bahnsen, une designer danoise établie, qui est convaincue, à l’instar de Stella McCartney, que la mode peut à la fois être couture et désirable tout en étant responsable.

 

Première promotion du programme ambassadeur “Mindful Creatives” avec Cecilie Bahnsen, Karoline Vitto, Nensi Dojaka et Victor Weinsanto © Nona Source/LVMH

 

L+ : Vous venez de fêter vos trois ans d’existence. Quel bilan tirez-vous de ces années et quels sont les futurs projets de Nona Source pour les années à venir ? 

 

Romain Brabo : Nous avons été énormément portés par Hélène Valade, la directrice Développement Environnement du Groupe, qui a souhaité accélérer sur les sujets de circularité au sein de LVMH.

 

En trois ans, nous avons réussi à convaincre de grandes Maisons comme le joaillier Zénith de revisiter les surplus d’une Maison de couture afin de créer des  bracelets de montres interchangeables, pour l’un de ses best-sellers : la montre DEFY Midnight. Signe du succès, l’opération est renouvelée cette saison. Le Bon Marché produit désormais la quasi-totalité de sa collection en marque propre à l’aide des surplus des Maisons du Groupe et n’hésite pas à l’afficher sur ses étiquettes. Par ailleurs, notre éternel soutien, Stella McCartney, intègre chaque année les tissus Nona Source dans ses collections.

 

 

 

Bracelets upcyclés réalisés à partir des tissus dormants de Nona Source pour la montre DEFY Midnight de Zenith © Zenith/LVMH

 

Côté distribution, Nona Source a ouvert deux showrooms physiques à Londres et Paris et a rencontré un vif succès en France. Notre parti pris est de rester en Europe pour rester fidèles à nos valeurs. En termes de développement, le grand succès que rencontre notre showroom parisien à La Caserne nous amène à tripler sa surface pour ajouter des ressources plus larges comme des peaux de cuir ou encore des fils pour la maille. Nous songeons d’ailleurs à proposer d’autres typologies de produits.

 

Showroom de Nona Source à la Caserne, Paris © Nona Source/LVMH

 

Côté expérience, nous réfléchissons à la présentation 3D afin notamment de permettre à un designer de modéliser le tissu présent sur notre site sur un vêtement.

 

Mais plus que tout, nous souhaitons devenir une sorte de ressourcerie créative inspirante. Un lieu où n’importe quel jeune créateur, de n’importe quel métier, puisse venir s’inspirer et trouver des matières existantes.

 

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Photo à la Une :  © Presse

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Victor Gosselin
Victor Gosselin est journaliste spécialisé luxe, RH, tech, retail et consultant éditorial. Diplômé de l’EIML Paris, il évolue depuis 9 ans dans le luxe. Féru de mode, d’Asie, d’histoire et de long format, cet ex-Welcome To The Jungle et Time To Disrupt aime analyser l’info sous l’angle sociologique et culturel.
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