L’euphorie qui a propulsé l’industrie horlogère suisse vers des sommets record semble s’estomper. On assiste au ralentissement de la demande et à une baisse des prix sur les marchés secondaires, alors les experts mettent en garde contre la fin de la « croissance exceptionnelle » post-pandémique dans le secteur du luxe. Cette tendance s’inscrit dans un contexte de récits croissants de fragilité dans l’ensemble des biens de luxe, impactant des géants tels que LVMH et Kering.
Pendant trois années consécutives, l’industrie horlogère suisse a connu un essor exceptionnel, débutant au cours de la pandémie. Les consommateurs fortunés, confinés avec des liquidités abondantes, se sont tournés vers les montres mécaniques de luxe de marques suisses emblématiques telles qu’Audemars Piguet et Rolex. Les exportations de montres suisses ont ainsi atteint un sommet record de près de 25 milliards de francs suisses (28,5 milliards de dollars) en 2022.
Cependant, ces derniers mois ont marqué un ralentissement de la demande et une baisse des prix sur les marchés secondaires. Les résultats semestriels de Richemont ont indiqué une baisse de 3% des ventes de montres et une chute de 17% aux Amériques en novembre, soulignant le début de cette décélération.
« Le luxe n’est (malheureusement) pas à l’épreuve de la récession », ont écrit les analystes de HSBC le mois dernier, mettant en garde contre la fin de la « croissance exceptionnelle » des années post-pandémiques.
Cette baisse de rythme s’inscrit dans le contexte de témoignages croissants signalant des fragilités dans le domaine élargi des produits de luxe. Des sociétés telles que LVMH et Kering ont subi l’impact de la hausse des prix et des préoccupations liées à la récession, entraînant une diminution de leurs ventes.
Les exportations suisses de montres ont connu leur première baisse en plus de deux ans en juillet, et la croissance moyenne de ces derniers mois est nettement inférieure à celle de la première moitié de l’année. Par ailleurs, l’indice des montres Bloomberg Subdial, qui suit les 50 modèles les plus échangés, a chuté d’environ 42% depuis son pic en avril 2022. Les valeurs des montres d’occasion ont également baissé depuis plus d’un an.
Changements de comportement
La pandémie a incité les nantis à réfléchir à la fragilité de la vie. Inspirés par des influenceurs sur les réseaux sociaux, ils ont investi dans des montres de luxe, créant un engouement qui a conduit à des retards de production massifs. Cependant, septembre et octobre ont été difficiles, avec des changements de sentiment chez les consommateurs.
En effet, au retour de la pandémie, les fabricants de montres ont dû faire face à des retards de production considérables, entraînant l’accumulation de listes d’attente dans les boutiques. Mais face à la baisse de la demande ces derniers mois, les horlogers ont réagi en augmentant les prix, une stratégie risquée selon certains. Les marques, dont Rolex, Swatch, Omega, Longines et Tissot, ont toutes revu à la hausse leurs étiquettes, en Europe et au Royaume-Uni en février. Omega a augmenté ses prix de 8% aux États-Unis en juillet, tandis que Jaeger-LeCoultre a ajouté plus de 20% au prix de certains modèles. Rolex, qui fabrique plus d’un million de montres par an avec des ventes estimées à plus de 9 milliards de francs, a augmenté ses prix deux fois en 2022.
Jean-Claude Biver, figure de l’industrie, a souligné le manque d’humilité de l’industrie face à une surproduction persistante.
« Nous aurions dû apprendre, et pourtant nous n’avons toujours pas appris car nous n’avons pas suffisamment d’humilité », a-t-il déclaré. « Nous sommes un peu arrogants. Nous avons l’impression d’être les rois du client, alors que c’est le client qui est le roi. On ne devrait jamais inverser cela. »
Prévisions revues à la baisse
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Photo à la Une : ©Patek Philippe