Le 8 février dernier, le Tribunal fédéral de Manhattan a condamné l’artiste Mason Rothschild à verser 133 000 dollars à la Maison Hermès. La raison ? La commercialisation de NFTs, reproduisant sans autorisation le sac Birkin de la marque. Pour avoir un éclairage juridique sur le sujet, Luxus Plus a interviewé Emmanuelle Hoffman, avocate spécialisée en droit de la propriété intellectuelle. Elle est également directrice scientifique de la 3ème édition des assises juridiques de la mode, du luxe et du design, qui se tiendra le 9 mars prochain.
Dans l’affaire Hermès contre Mason Rothschild, le Tribunal a reconnu l’artiste responsable de trois chefs d’accusation : contrefaçon, dilution de marque et cybersquatting (en raison de l’utilisation du nom de domaine <metabirkins.com> considéré comme prêtant à confusion et pouvant laisser croire à un lien avec la maison Hermès).
Quel est votre point de vue sur la décision de justice rendue ?
Il s’agit, selon moi, d’une décision extrêmement positive pour les titulaires de droits, car il s’applique à tout produit de toute nature, y compris aux innovations technologiques tels que les NFT. Il était important qu’un Tribunal prenne acte du caractère d’atteinte à la marque. En effet, il a considéré qu’il y avait à la fois contrefaçon et dilution de la marque « Birkin » détenue par la Maison Hermès mais également cybersquatting, en raison de la réservation et de l’utilisation du nom de domaine <metabirkins.com> – toujours en ligne à l’heure actuelle.
Si la reconnaissance des actes de cybersquatting n’est pas surprenante (il s’agit en effet d’un fondement classique, qui vise le dépôt d’un nom de domaine incluant une marque protégée afin de profiter de sa notoriété), celle de l’atteinte à la marque « Birkin » compte tenu de la commercialisation de sacs à mains virtuels était plus incertaine. Cette première décision démontre pour l’heure une protection des marques même dans l’univers virtuel incluant donc les NFTs.
Dans sa défense, l’artiste a cité des œuvres d’Andy Warhol, notamment ses reproductions des boîtes de conserve Campbell’s, pour justifier le droit de citation artistique. Est-ce un bon argument selon vous ?
Effectivement, M. Rothschild a invoqué le premier amendement de la constitution américaine et par voie de conséquence, la liberté d’expression, arguant que les sacs MetaBirkins représentaient un hommage au sac à main iconique de la Maison Hermès. Le jury ayant eu à se prononcer sur la question, a pourtant considéré que les sacs litigieux constituaient non pas des œuvres d’art mais des marchandises, ainsi soumis au respect du droit des marques notamment.
La liberté d’expression, comme tout droit fondamental, doit être mise en balance avec les droits de propriété intellectuelle. En droit français, certaines exceptions au monopole conféré par le droit d’auteur prennent leur source dans la liberté d’expression. Cependant, l’objectif commercial derrière l’œuvre est susceptible de mettre à mal toute revendication au titre de la liberté d’expression.
Aussi, le fait que le projet de M. Rothschild a entraîné la publication de 100 NFTs MetaBirkins, commercialisés chacun à 450 dollars, a pu contribuer à ce que les jurys lui dénient toute revendication au titre de la liberté d’expression.
Cette décision va-t-elle faire jurisprudence selon vous et doit-on y voir le début de la régularisation des NFTs ?
Cette décision est sans nul doute particulièrement intéressante du point de vue de l’application de la législation relative aux marques dans le cadre de NFTs. Pour l’heure, au regard de cette décision, il semblerait que la législation en vigueur soit considérée comme suffisante pour y inclure la protection des marques dans l’univers des NFTs. Il conviendra de porter une attention particulière aux prochaines décisions, afin de déterminer s’il s’agit d’une décision isolée ou si nous sommes face à une véritable jurisprudence qui s’établit.
En parallèle, il est intéressant de noter que le même jour, l’EUIPO (Office de l’Union Européenne pour la propriété intellectuelle) a refusé l’enregistrement du célèbre tartan Burberry à titre de marque pour couvrir les NFTs. L’EUIPO a ainsi énoncé que le tartan était dépourvu de distinctivité pour les produits et services liés aux NFTs, tout en précisant que la distinctivité acquise par l’usage ne pouvait pas être invoquée pour ces produits nouveaux.
Toutefois, la lettre de cette décision ouvre une porte à une éventuelle protection des produits virtuels, par le biais des produits physiques correspondants : « L’office note que les perceptions du consommateur pour des produits du monde réel peuvent être appliquées à des produits virtuels équivalents, car un aspect essentiel des produits virtuels est d’imiter les concepts fondamentaux des produits du monde réel » peut-t-on lire.
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