Féru d’histoire, Alexander McQueen a toujours nourri une certaine fascination pour le macabre et le bizarre. Un de ses motifs de prédilection, le crâne, érigé en quasi logo bien avant les Kooples, Zadig et consorts, illustre parfaitement sa vision de l’existence comme il est annonciateur de sa tragique et abrupte disparition, le 11 février 2010.
Si Alexander McQueen avait appartenu à une de ces tribus socioculturelles qui inspirent la fashion sphère, ce serait inévitablement celle des gothiques.
Il suffit de voir ses collections, ses défilés, ses réflexions et un certain imprimé macabre… Même sa fin tragique y souscrit si l’on songe que la philosophie originelle du gothique est marquée par une esthétisation du suicide.
Tout comme le blanc squelettique, le noir ténébreux habille ses collections, leg direct de la période victorienne. En effet, anéantie par la disparition de son époux, le prince Albert, décédé d’une fièvre typhoïde en décembre 1861, la reine Victoria décide de porter le deuil jusqu’à la fin de sa vie, soit durant 40 longues années.
Macabre élégance
Lee, rebaptisé Alexander pour sa sonorité plus aristocratique, est né en 1969 dans l’East-End londonien. On peut dire que la mort a toujours plus ou moins rodé au-dessus de la tête de ce petit dernier d’une famille ouvrière de six enfants. Chéri par sa mère, il a subi les brimades de ses camarades à l’école et a été témoin à huit ans des violences subies par sa sœur ainée par son mari, qui abuse également de lui. Sa vie a ensuite pris la forme d’un combat contre son addiction à la cocaïne et sa séropositivité. Ces expériences ont forgé durablement sa vision de l’existence, avec pour thèmes de prédilection ceux de la douleur, de la survie et de la violence. Une violence – plutôt psychologique – qu’il expérimentera de nouveau à son arrivée à la tête des collections de Givenchy en 1996, considérant être moins bien traité que son prédécesseur John Galliano, parti alors rejoindre la Maison Dior ou encore lorsque sa propre Maison de couture passe soudain sous le giron du groupe rival Kering (à l’époque PPR) en 2001.
Les premières traces du motif en forme de crâne apparaissent chez le créateur dès son défilé de fin d’année de 1992 alors qu’il suit des études de mode à la prestigieuse Central Saint Martin, études financés par sa tante. Dans cette collection intitulée “Jack The Ripper stalks his victims” (Jack l’éventreur traque ses victimes), les mannequins arborent alors le fameux motif squelettique qui traduit la volonté anticonformiste d’Alexander McQueen. Le choix de ce symbole tout à la fois sombre et provocant témoigne de la volonté du couturier britannique de défier les perceptions sociales de la beauté et de la mode, et ce bien avant la cohorte Gen Z.
Le funeste motif vient hanter la collection printemps-été 2003, intitulée “Irere”. Il apparaît alors brodé sur des robes fluides fleuries. C’est ce crâne dans une version stylisée et fleurie qui a été choisi pour être l’affiche officielle du documentaire McQueen (2018) distribué par Lionsgate et dédié à l’enfant terrible de la mode. Les documentaristes Ian Bonhôte et Peter Ettedgui ont opté pour une technique en trompe-l’œil, quasi mystique, déjà à l’œuvre à l’époque romantique, celle de la paréidolie, ou capacité à reconnaître des formes familières -comme ici un crâne donc – dans un paysage, un nuage, une œuvre d’art, une tache d’encre…
Le crâne chez McQueen n’était pas seulement un imprimé sur des tenues élégantes et mélancoliques. Il a également inspiré des sacs à main ou a décoré des foulards, comme en atteste l’exposition-rétrospective de 2011 au Metropolitan Museum of Art, intitulée “Alexander McQueen: Savage Beauty.”
Memento Mori
Lire aussi > Petite Histoire du Luxe : la malle Louis Vuitton : une boîte plate qui fait un carton
Photo à la Une : © Lionsgate