Frédéric Galinier (Fédération de la Haute Couture et de la Mode) : “La seconde main fait partie intégrante de la circularité”

Frédéric Galinier est directeur délégué en charge de la représentation professionnelle et institutionnelle de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode depuis 2016. Cette institution œuvre notamment pour une mode plus durable et responsable, en mettant en place des dispositifs et méthodes développés avec et pour ses membres.

 

Le 9 mars dernier ont eu lieu les assises juridiques de la mode, du luxe et du design, organisées par Lexposia, une agence de conseil spécialisée dans le droit. La 4ème édition se tiendra le 14 mars 2024.

 

C’est durant cette journée d’étude que Luxus plus a eu l’occasion de s’entretenir avec Frédéric Galinier.

 

Comment votre Fédération encourage-t-elle les marques à intégrer la RSE dans leur gouvernance et leurs pratiques commerciales ?

 

Frédéric Galinier : « Nous avons un certain nombre d’outils à disposition. Nous sommes une organisation professionnelle en même temps qu’une organisation événementielle, qui coordonne les calendriers de la Paris Fashion Week® et des Semaines de la Haute Couture. Nous rassemblons nos membres pour travailler sur des problématiques collectives et nous tenons notamment une commission innovation / développement durable présidée par Pascal Morand qui est le Président exécutif de la Fédération.

 

Dans le cadre de cette commission, nous accompagnons toutes les réformes réglementaires sur le plan national et européen avec nos membres. Nous participons à différentes expérimentations, notamment dans le cadre d’une future obligation d’affichage de la performance environnementale et sociale des articles textiles d’habillement mise en œuvre par le gouvernement dans le cadre de la loi Climat et Résilience votée en 2021. Depuis plusieurs années, nous sommes membres votants dans le cadre du Secrétariat Technique du PEF (Product Environmental Footprint) de la Commission Européenne, qui doit également définir une méthode de calcul d’une empreinte environnementale des produits. Ce qui est notamment très important pour les entreprises de notre secteur, c’est de faire comprendre le concept de durabilité qui n’est pas que physique. Il y a aussi un fort aspect émotionnel lié à l’usage des produits issus de la création ou des savoir-faire !

 

Nous sommes très engagés sur ces questions, et par ailleurs, nous avons développé deux outils en collaboration avec PWC et cofinancés par le DEFI .

 

Ce sont des outils d’écoconception et de mesure de l’empreinte environnementale des événements tels que les défilés de mode ainsi que des collections. Nous les proposons à nos membres, ce qui leur permet aujourd’hui de mesurer l’empreinte environnementale de leurs défilés, mais aussi d’aller encore plus loin en évaluant la circularité de tout ce qui est utilisé pendant ces derniers comme par exemple le fait d’assurer la traçabilité de chaque centimètre carré de moquette ! »

 

Comment les marques de luxe peuvent-elles être plus transparentes ?

 

Frédéric Galinier : « Aujourd’hui et au plan général, il y a des initiatives réglementaires, tant au plan français qu’européen, qui poussent à prendre de telles mesures. Les marques sont complètement investies dans des expérimentations. Elles testent, elles innovent, pour y aboutir. En ce qui concerne les conditions de travail de leur chaine de valeur, cela fait des années que les grandes Maisons créatives ou de luxe encadrent leurs relations avec leurs distributeurs et leurs sous-traitants. Elles ont mis en place des chartes, des mécanismes de contrôle et ont une visibilité de leur chaine de valeur, qui s’accroît sous l’impulsion des directives européennes ».

 

Dans quelle mesure la seconde main peut-elle aider à réduire l’impact environnemental de l’industrie de la mode ?

 

Frédéric Galinier :  » Selon moi, la seconde main fait partie intégrante de la circularité qui a été consacrée par la loi AGEC (ndlr : loi Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire) en 2020. Elle interdit de détruire des invendus et elle conduit à les réemployer, les réutiliser ou les recycler. La seconde main, c’est un produit qui a été vendu et qui, au lieu d’être détruit si l’on souhaite s’en débarrasser, peut avoir une nouvelle vie et cela va totalement en adéquation avec le concept de durabilité. Un produit de luxe sera moins jeté que transmis, au sein d’une famille pour sa valeur émotionnelle ou dans un réseau de seconde main en raison de sa valeur patrimoniale. Pour nous, l’important, c’est que les produits vivent longtemps ».

 

La seconde main peut-elle coexister avec les modèles commerciaux traditionnels des marques de luxe ? Ou est-ce une menace pour leur rentabilité ?

 

Frédéric Galinier : « Il n’y a pas de raison que cela les effraie, bien au contraire. Cela permet aussi à certains consommateurs d’accéder à des produits de luxe, alors que leurs moyens ne peuvent pas le permettre habituellement. De plus, il n’y a pas de difficultés, outre les réserves classiques sur les contrefaçons qui peuvent se glisser dans ces réseaux de distribution. D’ailleurs, nous voyons maintenant qu’un certain nombre de Maisons organisent elles-mêmes la reprise et la revente de leurs propres produits. Par exemple, je porte aujourd’hui une veste APC qui provient de leur boutique de produits recyclés dans le Marais, que j’ai achetée à un prix plutôt raisonnable ».

 

Comment la Fédération de la Haute Couture et de la Mode envisage-t-elle l’avenir dans un contexte de pression croissante pour une production plus durable et responsable ?

 

Frédéric Galinier : « On envisage l’avenir avec un certain enthousiasme, puisque la plupart de nos membres n’ont pas attendu toutes ces réglementations, ni l’urgence climatique pour élever leurs critères sociaux.

 

D’ailleurs, la production est très majoritairement européenne, avec des standards plutôt élevés et des initiatives sont lancées depuis un certain nombre d’années, tant par les grands groupes que par des marques indépendantes mais iconiques. La jeune génération de marques émergentes est résolument engagée face à ces enjeux.

 

Nous avons récemment lancé un groupe de travail consacré à l’affichage de la performance sociale des produits, alors qu’une telle expérimentation n’a pas encore été mise en place par les pouvoirs publics. Nous allons travailler sur tous les items sociaux classiques, le bien-être au travail, la parité homme-femme, les rémunérations minimales, etc. De plus en plus de Maisons travaillent également sur ces engagements responsables et mettent en place des initiatives très intéressantes et novatrices qui viendront nourrir nos réflexions, dont nous pourrons peut-être rendre compte à l’occasion d’une prochaine édition des Assises juridiques de la Mode et du Luxe ! ».

 

Lire aussi >Formation, traçabilité, impact environnemental,…: ce qui va changer pour la filière Mode et Luxe

Photo à la Une : © Presse

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