L’industrie du luxe repose sur la créativité et l’innovation esthétique. Chaque saison, les Maisons de Haute Couture, joaillerie, maroquinerie et horlogerie dévoilent des pièces iconiques, protégées par des droits de propriété intellectuelle.
Une réforme majeure en la matière vient d’être adoptée au sein de l’Union européenne avec le Règlement (UE) 2024/2822 et la Directive (UE) 2024/2823, modifiant en profondeur la protection des dessins et modèles et adaptant le système à l’ère numérique. Quelles sont les implications pour l’industrie du luxe et comment les entreprises doivent-elles s’adapter ?
Qu’est-ce qu’un dessin & modèle et comment est-il utilisé dans le luxe ?
Un dessin et modèle est un droit de propriété intellectuelle, au même titre qu’une marque ou encore un brevet. Ce droit protège spécifiquement l’apparence d’un produit, c’est-à-dire ses formes, couleurs, textures ou ornements, à condition qu’il soit nouveau et doté d’un caractère propre. Il constitue un actif stratégique pour l’industrie du luxe, permettant de sécuriser des créations emblématiques contre la contrefaçon et la copie. À titre d’exemple, un sac à main à la silhouette unique, une montre au cadran distinctif ou une robe de Haute Couture peuvent être protégés par un dessin et modèle enregistré auprès d’offices dédiés afin d’être protégés sur le ou les territoires choisis.
Un dessin et modèle enregistré bénéficie d’une protection initiale de 5 ans, renouvelable par tranches de 5 ans jusqu’à un maximum de 25 ans. Il permet à son titulaire d’interdire toute reproduction ou imitation, même si l’auteur de la copie ignorait son existence. Il existe également une protection alternative par le dessin et modèle non enregistré, qui naît automatiquement dès sa divulgation publique, mais sa protection est limitée à 3 ans et ne couvre que les copies délibérées. Ce dernier est donc plus adapté aux industries à renouvellement rapide (mode, design), tandis que l’enregistrement assure une protection plus forte et durable.
Dans un marché où les designs iconiques sont souvent imités, cette protection assure aux Maisons de luxe un monopole d’exploitation, leur permettant d’engager des actions en justice, et plus particulièrement l’action en contrefaçon, contre les copies non autorisées. La réforme vient modifier les règles du jeu en renforçant certains aspects de la protection tout en imposant de nouvelles contraintes.
Les nouvelles règles du jeu pour l’industrie du luxe
Cette réforme modernise et simplifie les règles encadrant la protection des créations. Pour les Maisons de luxe, cela signifie plus de flexibilité pour protéger leurs designs, mais aussi de nouvelles contraintes financières et stratégiques.
Tout d’abord, les démarches d’enregistrement sont facilitées. Les entreprises pourront déposer plusieurs dessins et modèles en une seule demande et retarder la publication d’un modèle jusqu’à 30 mois. Pourquoi est-ce important ? Car dans le luxe, dévoiler un design trop tôt peut exposer une Maison à la copie avant même la sortie officielle du produit. Ce délai lui permet de mieux protéger ses créations et de garder la surprise intacte jusqu’au lancement.
D’un côté, les frais de dépôt restent stables à 350 €, et certains coûts, comme ceux liés aux transferts de propriété, sont supprimés, ce qui facilite les démarches pour les PME. Par ailleurs, il devient plus avantageux d’enregistrer plusieurs designs en même temps, du moins jusqu’à 10 créations, car les frais sont réduits sur cette tranche. En revanche, au-delà, les coûts augmentent sensiblement, rendant la protection plus onéreuse pour ceux qui déposent de grandes collections.
L’autre changement majeur concerne le renouvellement des droits, qui devient beaucoup plus coûteux au fil du temps. Par exemple, alors qu’un premier renouvellement coûtait 90 €, il passe désormais à 150 €, et ce montant grimpe jusqu’à 700 € pour une quatrième prolongation. Cela signifie que les entreprises qui protègent leurs modèles sur une longue période, notamment dans des secteurs comme la Haute Joaillerie ou l’horlogerie, devront anticiper ces hausses et ajuster leur stratégie en conséquence.
Cependant, ces hausses de tarifs ne concernent pas les renouvellements de dessins & modèles internationaux fixés à 62 € par renouvellement, offrant une alternative intéressante pour les entreprises souhaitant gérer leurs titres au niveau mondial.
Ensuite, la réforme s’adapte aux évolutions technologiques. Aujourd’hui, un design ne se limite plus à un objet physique : il peut aussi être numérique ou animé. Désormais, une Maison de couture pourra protéger une robe virtuelle vendue dans le métavers, une animation graphique utilisée sur un site ou même un fichier numérique permettant d’imprimer un accessoire en 3D. Cette extension du cadre juridique est cruciale à une époque où les frontières entre le réel et le virtuel s’effacent de plus en plus.
Cependant, si certaines règles deviennent plus souples, d’autres compliquent la tâche des entreprises du luxe. Les coûts de renouvellement des droits augmentent fortement, en particulier pour celles qui protègent leurs modèles sur le long terme. Prenons l’exemple d’une marque iconique qui veut préserver l’exclusivité de son sac phare pendant 25 ans : elle devra désormais payer bien plus cher pour prolonger ses droits. Ce surcoût pourrait forcer certaines Maisons à faire des choix stratégiques et à ne conserver que leurs modèles les plus rentables.
Autre point clé : la protection des dessins & modèles non enregistrés évolue. Jusqu’ici, un modèle devait être dévoilé pour la première fois dans l’Union européenne pour être protégé. Avec la réforme, cette contrainte disparaît. Une Maison de luxe qui présente une collection à New York pourra tout de même faire valoir ses droits dans l’UE si son design est copié. Cela offre une meilleure protection aux entreprises qui évoluent sur la scène internationale et qui veulent éviter que leurs créations ne soient reproduites sans autorisation.
Enfin, un changement pourrait poser problème à certains secteurs du luxe : la réforme facilite la reproduction de certaines pièces détachées nécessaires à la réparation d’objets complexes. Si cela concerne surtout l’automobile, la question se pose pour d’autres industries. Par exemple, pourra-t-on produire librement certains accessoires ou éléments de maroquinerie en les considérant comme des « pièces de rechange » ? Cette incertitude pourrait générer des tensions entre les créateurs et les fabricants.
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