Rencontre avec Bénédicte Epinay, déléguée générale du Comité Colbert, l’instance représentative du luxe en France.
Celle-ci organisait du 14 au 17 décembre, la deuxième édition des De(ux)Mains du Luxe à Station F, un évènement unique en son genre où élèves, parents et adultes en reconversion pouvaient directement expérimenter les gestes de l’artisan, visiter les stands des écoles et faire ainsi un choix éclairé sur leur avenir professionnel. Un moyen ludique de répondre à la la pénurie de talents manuels qui n’épargne pas le secteur du luxe.
Mi-décembre, se tenait, à Station F, la deuxième édition des De(ux) Mains du luxe, un événement interactif et inclusif, pensé comme le remède idéal à la pénurie des talents artisanaux. Et ce, avec le souci d’assurer la transmission des savoir-faire.
Arrivée en avril 2020 à la tête du Comité Colbert, l’association représentative de 93 Maisons de luxe françaises et 17 institutions culturelles, Bénédicte Epinay fait bouger les lignes de ce secteur après une carrière de trente ans dans les médias, notamment au quotidien Les Echos où, après avoir couvert pendant dix ans l’actualité du secteur du luxe, elle a successivement lancé en 1999 son mensuel Série Limitée puis son hebdomadaire les Echos Week End en 2015.
Investie dans la préservation et la promotion des savoir-faire du luxe qui figurent au coeur des missions du Comité Colbert, Bénédicte Epinay a lancé celui-ci sur TikTok avec un succès prometteur. Et elle entrevoit déjà une mise en lumière des métiers d’arts dans un show télévisé à la Top Chef en prime time sur le service public. Avec une certitude chevillée au corps: l’industrie du luxe ne devrait jamais cesser d’être une fierté nationale. Un secteur dont la pérennité tient pour une large part à la passion et à la créativité de ses artisans.
Luxus Plus : Les De(ux)Mains du luxe se sont achevées le 17 décembre. Quelle est votre impression sur cette deuxième édition ? Êtes-vous parvenus à transformer l’essai de la première édition, qui s’est déroulée l’année dernière ?
Bénédicte Epinay : Cette nouvelle édition des De(ux)Mains est une réussite. Avec 7100 visiteurs sur les quatre jours (+65% en comparable), nous avons battu le record d’affluence de notre première édition. Mais surtout, notre mini-site dédié aux savoir-faire sur Tiktok cumule plus de 417 millions de vues, un exploit dans la mesure où notre présence sur ce réseau social remonte à seulement deux mois ! C’est un chiffre particulièrement encourageant pour le Comité Colbert mais également pour l’ensemble de la filière artisanale. Car de telles performances démontrent une forte appétence de la jeunesse pour les métiers de la main.
LP : Comment vous est venue l’idée de communiquer sur TikTok ? La plateforme n’est pourtant pas le choix qui s’impose quand on vient à évoquer l’univers du luxe à fortiori quand il s’agit d’artisanat…
Bénédicte Epinay : L’idée était de prendre la parole là où les 12-24 ans s’informent en leur parlant d’artisanat avec leurs codes à eux. Lancé cet été, le compte du Comité Colbert dénombre aujourd’hui 26 000 followers ! Nous avons tourné beaucoup de vidéos de jeunes apprentis et artisans chez nos membres, Chanel et 19M, Louis Vuitton, Cartier, Van Cleef… Les jeunes parlent aux jeunes. Tiktok a été séduit par notre démarche, au point de s’associer à nous pour créer cet automne le hashtag savoir-faire et un mini-site associé afin d’y publier des contenus de gestes d’artisans, qu’il s’agisse de vidéos tournées dans nos maisons ou ailleurs.
LP : Les De(ux)Mains du luxe cherchent à mettre en valeur des artisans tout en répondant à une urgence de la filière, à renforcer ses effectifs en ateliers. A quel point la situation est-elle critique en France pour les métiers de la main dans le luxe ? Les difficultés de recrutement sont-elles similaires à ce que rencontrent les détaillants en boutique pour trouver leurs conseillers de vente ?
Bénédicte Epinay : Au comité Colbert, nous avons le souci d’adresser depuis sa fondation en 1954, des sujets d’intérêt général et cette pénurie de main d’œuvre manuelle en fait partie. Le luxe est une industrie de main d’oeuvre. Chez Hermès, un salarié sur deux est un salarié en production. Et un récent sondage auprès de nos membres chiffre à 20 000 le nombre de postes manuels à pourvoir dans nos ateliers en raison d’une pyramide des âges devenue défavorable mais surtout d’une image malheureusement dégradée des métiers manuels à laquelle notre évènement tente de répondre. La pénurie de talents dans les métiers de service, qu’il s’agisse du retail ou de l’hôtellerie-restauration est une autre problématique cruciale pour le secteur mais que nous n’adressons pas pour le moment.
LP : Selon vous, cette pénurie de talent dans l’artisanat est-elle avant tout un problème culturel ou conjoncturel ?
Bénédicte Epinay : Plusieurs raisons expliquent cette situation à commencer par le manque de visibilité de ces métiers. Un jeune collégien connait en moyenne 5 à 10 métiers quand il devrait en visualiser 50 pour faire son choix de carrière. Nous sommes aujourd’hui sorti de ce culte du secret qui était devenu contre productif pour le recrutement. Ajoutons à cela la peur des parents devant le choix d’une carrière manuelle d’un enfant et le syndrome du “passe ton bac d’abord”. Enfin, les professeurs, souvent par méconnaissance des parcours possibles avec un CAP, considèrent ce diplôme comme une voie de garage alors que même que nos maisons offrent des parcours formidables, y compris à des jeunes sans diplômes qui vont pouvoir y suivre des formations qualifiantes.
C’est d’ailleurs intéressant de voir à quel point les adultes en reconversion choisissent les métiers manuels car porteurs de sens. On assiste même à une forme de momentum où de plus en plus de personnes veulent se réaliser autrement, en particulier par le “faire”, un acte nécessitant un long apprentissage (18 mois en moyenne chez Hermès) mais tellement gratifiant lorsque vous parvenez à un produit fini et tangible.
LP : Comment le luxe peut-il inverser cette tendance ?
Lire aussi > HERMÈS, CHAMPION DE LA RÉINDUSTRIALISATION DU LUXE EN FRANCE
Photo à la Une : Bénédicte Epinay © Comité Colbert