Il y a un hôtel à Los Angeles qui s’appelle le Magic Castle – c’est un hôtel en apparence basique avec aucun signe distinctif. Et pourtant, il sort dans le top 10 du classement des voyageurs sur Trip Advisor – entre l’Hôtel Bel Air et le Four Seasons. Comment est-ce possible ?
Tout est dans le téléphone rouge cerise qui permet de commander des glaces gratuitement à la piscine : la popsicle hotline. Les glaces sont ensuite apportées dans un saladier en argent par un majordome en gants blancs. D’autres services inattendus sont également proposés tout au long de la journée : un magicien est dans le hall de l’hôtel tous les matins et un service de pressing est proposé pour laver et plier votre linge tous les soirs. Ce sont tous ces moments remarquables qui font la différence.
Autre ambiance, autre expérience : si vous deviez raconter votre dernière visite chez Disney, de quoi parleriez-vous ? Probablement pas des longues files d’attente, des hotdogs sans goût ou des enfants fatigués qui pleurnichent. Ce dont vous parlerez, c’est plus certainement du roller coaster, de la dernière attraction en vogue, de la parade ou encore du feu d’artifice. Ce sont ces moments remarquables qui sont saillants dans votre mémoire.
Le Magic Castle et Disney sont deux des exemples utilisés par Dan & Chip Heath dans The Power of Moments pour montrer que les individus sont prêts à oublier ce qui est moyen voire médiocre, à condition qu’il y ait des moments remarquables.
Pourquoi et comment créer ces moments remarquables, c’est l’objet de cet article.
Commençons par le pourquoi. Pour comprendre les raisons pour lesquelles notre cerveau se souvient plus de certains moments que d’autres, il faut revenir aux travaux de Daniel Kahneman qui est un éminent chercheur en sciences comportementales, récompensé par le prix Nobel d’Economie en 2002. Ses recherches portent sur les processus de décisions humaines qui ne sont pas toujours rationnelles -loin de là ! Il s’est particulièrement intéressé au sujet de l’expérience, et notamment la façon dont les individus choisissent une expérience plutôt qu’une autre.
Une des expérimentations réalisées par Daniel Kahneman implique 2 groupes d’individus A et B qui ont la main plongée dans de l’eau très froide à 14 degrés pendants 60 secondes. Le groupe B prolonge l’expérience dans de l’eau légèrement plus chaude à 15 degrés pendant 30 secondes. Conclusion, le groupe B sera plus disposé à renouveler l’expérience que le groupe A. Il n’y a aucune raison rationnelle derrière ce choix : les individus du groupe B ont en réalité passé 1 minute et 30 secondes à des températures inconfortables vs. 1 minute pour le groupe A. Ce qui fait la différence entre les 2 groupes, c’est la fin « plus agréable » de l’expérience B car l’eau est légèrement plus chaude.
Ces expérimentations démontrent qu’une expérience n’est pas une moyenne arithmétique des différents moments qui la composent. Certains moments clés influencent davantage le souvenir et les choix des individus : ces moments qui comptent plus que d’autres sont les pics émotionnels et la fin de l’expérience. C’est ce que Daniel Kahneman appelle la règle du « Peak & End ». D’autres informations que celles du pic et de la fin de l’expérience ne sont pas perdues, mais elles ne sont pas utilisées.
Cette règle du « Peak & End » s’explique par deux mécanismes à l’œuvre dans le cerveau humain :
– Une tendance à surévaluer les moments les plus intenses émotionnellement en positif ou en négatif – ce qui explique pourquoi le pic est mémorable
– Une facilité à se remémorer les événements les plus récents quand le cerveau repense à un épisode qui a eu lieu dans le passé – ce qui explique pourquoi la fin est mémorable
Quelles implications pour la création d’expérience par une marque ? La priorité n’est pas de résoudre tous les problèmes – c’est épuisant pour les managers qui créent l’expérience et cela ne génère pas d’enthousiasme chez le client qui la vit. La priorité est plutôt d’investir dans la création de moments remarquables et de soigner la fin de l’expérience pour faire vivre des émotions intenses qui sont créatrices de souvenir et d’engagement pour les clients.
Une fois la priorité de l’expérience définie, il reste à savoir comment procéder pour créer ces moments remarquables. En tant que responsable Retail ou Expérience Client d’une marque, il n’est pas question d’accepter de les laisser se produire au hasard ou au gré de la sérendipité.
Bonne nouvelle, quatre leviers de pics émotionnels ont été identifiés par Dan & Chip Heath pour faciliter la création de moments remarquables quel que soit le type d’expérience : la Fierté, l’Elévation, la Connexion et l’Insight.
Le premier de ces leviers est la création de moments de fierté. Ces moments impliquent généralement la reconnaissance des qualités et accomplissements de chacun. Si vous repensez à vos propres moments de fierté, ce sont souvent des exemples de reconnaissance comme une promotion, des félicitations, un prix gagné. En revanche, ces moments de reconnaissance ne sont pas faciles à créer : 80% des managers disent exprimer fréquemment leur reconnaissance ou appréciation à leurs collaborateurs, alors que seulement 20% des collaborateurs partagent ce sentiment. L’enjeu de ces moments de fierté est qu’ils soient personnels et authentiques.
Le deuxième levier est la création de moments d’élévation. Ces moments imposent de sortir de la routine en allant à l’encontre du déroulé attendu de l’expérience pour créer une surprise stratégique. Cela ne requiert pas nécessairement de lourds investissements. Par exemple, lors de la réunion d’un comité de direction, tous les participants sont installés autour d’une table avec un carnet et un stylo, prêts à prendre des notes. Mais lorsque l’organisateur arrive, il annonce aux participants que la réunion se fera en plein air. Il casse le script attendu. Cela rendra l’événement mémorable.
Une étude des commentaires sur TripAdvisor témoigne également de la puissance de la surprise : les clients qui disent avoir vécu « une agréable surprise » sont 94% à recommander l’hôtel (vs.60% des clients qui sont très satisfaits). La difficulté pour les organisations est de répliquer ces moments de surprise. Pour résoudre ce problème, la chaine Prêt à Manger autorise ses employés à donner gratuitement un certain nombre de boissons chaudes par jour. L’employé décide à qui les donner. Cela permet de maintenir l’effet de surprise dans le temps – à la différence de la systématisation qu’impliquent les cartes de fidélité.
Le troisième levier est la création de moments de connexion. Ces moments impliquent de créer des liens pour faire ressentir de la convivialité, de l’unité ou de l’empathie. Ces liens peuvent se tisser autour de moments synchronisés qui permettent de partager la même chose au même moment – comme un all-staff meeting, un concert ou une compétition. Ils se produisent également autour de valeurs partagées, d’une mission commune qui dépasse les individus. Adam Grant réalise une expérience à Wharton avec un groupe de sauveteurs en mer dont l’enseignement est centré sur l’amélioration de leurs performances personnelles (A) et un autre groupe dont l’enseignement est centré sur leur capacité à sauver le plus de vies (B). Le groupe B accepte de signer pour 43% d’heures supplémentaires dans le mois qui suit la formation. L’objectif de ce type de moment est de faire vivre un sens profond de connexion – avoir le sentiment de contribuer à un projet qui impacte la société au-delà d’un bénéfice personnel.
Enfin le quatrième levier de moments remarquables est la création de moments d’insight. Ce sont des moments qui permettent aux individus d’apprendre quelque chose sur eux-mêmes ou de voir le monde sous un angle différent. Cela peut se produire tout simplement au café lorsque vous goûtez des cafés d’origine d’Amérique du Sud et d’autres d’Afrique et que vous réalisez à quel point les saveurs sont différentes. Cela ajoute une dimension d’insight à l’expérience transactionnelle qu’est l’achat d’un café. Ces moments d’Insight supposent de partager un enseignement clair, dans un laps de temps réduit et doivent être découverts par l’individu lui-même. Là encore ce levier n’est pas déclenché par hasard. Il est possible de le créer volontairement.
Qu’en est-il de ces 4 leviers pour l’expérience client ? La Fierté (Pride), c’est faire en sorte que le client se sente unique et reconnu. L’Elévation (Elevation), c’est que le client soit agréablement surpris, voire impressionné. Quant aux leviers de Connexion et d’Insight, ils doivent être précisés dans le contexte spécifique de l’expérience client pour être pleinement opérationnels.
Pour la Connexion, on parlera plutôt d’Alignement (Alignment) – des moments qui permettent à la marque et aux clients de se retrouver autour de valeurs communes. Quant à l’Insights, on l’associera à la Connaissance (Knowledge) – des moments au cours desquels la marque laisse ses clients apprendre quelque chose qui les intéresse, cela peut être en lien avec l’histoire de la marque, de son fondateur, la fabrication ou l’inspiration de ses produits.
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Photo à la Une : © LVMH