[CHRONIQUE] Enjeux juridiques Luxe & Technologie – épisode 4 : L’e-réputation des marques de luxe

L’e-réputation, ou cyber-réputation, est la réputation en ligne d’une personne ou d’une entreprise. Elle est née à l’ère du Web 2.0 et elle se confond avec la réputation et l’image globale d’une entité qui s’est construite et consolidée au cours de nombreuses années.

L’image positive et exceptionnelle des marques ne doit pas être diluée ou dévalorisée dans la course à la digitalisation et à l’innovation des Maisons de luxe. L’avantage concurrentiel et la notoriété constitués par une bonne e-réputation des marques doivent être préservés et défendus.

Pour ce faire, les professionnels du marketing font généralement preuve d’une grande vigilance en intégrant une gestion juridique des risques d’atteinte à l’e-réputation dans leur stratégie de développement. La notion de risque réputationnel combine donc à la fois des dimensions économiques et managériales tout en reposant sur une dimension juridique très forte. Il s’agit d’un véritable outil de gouvernance.

Deux points seront plus particulièrement traités dans cette chronique :

Les armes juridiques pour défendre l’e-réputation des marques ;

La nouvelle tendance relative à la gestion de l’e-réputation des marques par les influenceurs.

 

La défense de l’e-réputation des marques dans le sillage de la défense de la notoriété des Maisons de luxe

 

Les entreprises doivent défendre leur e-réputation et leur(s) marque(s). Le titulaire d’une marque peut engager des poursuites civiles ou pénales contre les contrefacteurs. Les sanctions peuvent inclure des dommages et intérêts, la confiscation des produits contrefaisants et, dans certains cas des peines d’emprisonnement.

 

Il ne faut pas oublier la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) dont l’action peut être précieuse lors d’une atteinte à l’image en ligne d’une entreprise ou d’une personne. La CNIL n’intervient pas directement pour la suppression ou le déréférencement de contenus litigieux mais elle dispose d’un pouvoir de sanction à l’égard des sociétés qui refuseraient d’intervenir contrairement aux règles imposées par le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD).

 

Plus généralement, on peut lister quatre infractions qui permettent de poursuivre l’e-réputation aux marques :

La diffamation :

Elle peut concerner une personne physique ou une personne morale et est définie comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé » (Article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse).

Les internautes publient de plus en plus souvent des commentaires, concernant les produits et services proposés par les sociétés de manière générale, sur les réseaux sociaux et sur les forums de discussions dont les contenus restent accessibles en ligne.

Il peut être toutefois difficile de déterminer les contenus négatifs qui peuvent être constitutifs de diffamation. Le délai de prescription étant très bref, de trois mois à compter de la publication litigieuse, il convient de faire faire une analyse rapidement par un avocat spécialisé.

L’injure :

Elle est définie comme une « expression outrageante, terme de mépris ou invective » (Article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse).

Le délai pour agir est particulièrement bref, comme pour la diffamation, il est de trois mois à compter de la publication litigieuse.

Les propos ne sont pas nécessairement ceux des clients sur les produits et services, il peut s’agir aussi de ceux de leurs concurrents, ou encore de ceux postés par le personnel, les prestations de services voire des salariés qui vont avoir un impact sur les marques.

La Cour de cassation rappelle de façon constante que « si le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, d’une liberté d’expression à laquelle il ne peut être apporté que des restrictions justifiées par la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché, il ne peut abuser de cette liberté en tenant des propos injurieux, diffamatoires ou excessifs ».

Les propos litigieux peuvent aussi être tenus publiquement hors ligne et avoir un retentissement important du fait des commentaires des faits et décisions de justice. Ainsi, les Maisons de luxe sont parfois impactées par les propos de personnalités qui font leurs promotions voire ceux des stylistes qui travaillent pour elles. On a tous en mémoire, cette affaire de septembre 2011John Galliano, styliste Star de Dior, avait prononcé des propos antisémites et avait été condamné pour injures publiques. Cette situation avait un impact sur la clientèle et il n’était pas acceptable pour la marque d’y être indirectement associée. La Maison Dior avait licencié John Galliano. A la suite de cette affaire on ne trouvait plus sur le site Internet de mention du styliste pourtant à l’origine de certaines créations. Une communication de crise avait été mise en place très rapidement afin de préserver la réputation de la Maison et l’e-réputation de la marque.

Avant ce cas d’espèce, Jean-Paul Guerlain, interrogé sur la création du parfum Samsara sur France 2, le 15 octobre 2010, avait répondu « Pour une fois, je me suis mis à travailler comme un nègre. Je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé, mais enfin… ». En dépit des excuses formulées, des protestations et des appels aux boycott des produits Guerlain sont apparus sur la toile. Le bad buzz n’avait pas été géré avec efficacité et rapidité. Monsieur Guerlain a été condamné par le tribunal correctionnel de Paris, le 29 mars 2012 à payer 6000 euros d’amende pour injure raciale.

Les Maisons de luxe peuvent également faire face à des actes de dénigrement.

Le dénigrement :

Contrairement à la diffamation et l’injure qui portent sur une personne, le dénigrement porte sur des biens et/ou des services. Il consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne ou une entreprise, par la critique de ses produits ou de son travail, dans le but de lui nuire, et ce, même en l’absence de toute situation de concurrence conformément à l’article 1240 du Code civil.

Il s’avère que les Maisons de luxe craignent particulièrement le bad buzz, cette communication négative sur une produit ou une marque, qui se répand rapidement sur les réseaux sociaux.

Le délai pour agir est de cinq ans à compter de l’acte de dénigrement.

Il s’avère qu’il est parfois difficile pour les marques d’identifier les communications sur Internet qui pourraient être considérées comme répréhensibles au titre du dénigrement. Il ne faut pas hésiter à les faire analyser par un conseil spécialiste en droit de la presse et/ou propriété intellectuelle, afin d’agir rapidement tant les effets sont dévastateurs et coûteux pour une marque.

A titre d’exemple, la Cour d’appel de Paris, dans une décision du 24 septembre 2021, a condamné une internaute sur le fondement du dénigrement : « Enfin, la valeur violente de l’expression définitive et sans autre commentaire en forme de slogan « C’est quoi cette merde, il faut vite le jeter dans le feu » excède l’humour et la dérision que le droit de libre critique compris dans la liberté d’expression pouvait autoriser à l’occasion du lancement du premier magazine, et caractérise l’acte de dénigrement reproché dont M. X et sa société ADCI seront tenus responsables et solidairement (…) ».

De manière générale, les juges font la balance entre le droit de critique et le caractère dénigrant des propos.

Le parasitisme :

Il s’agit de tirer indûment profit du savoir-faire et des efforts humains ainsi que financiers consentis par une entreprise, victime des agissements de la personne qui usurpe la notoriété acquise par ce concurrent. Le parasitisme implique de démontrer la volonté de se placer dans le sillage d’une entreprise et de porter atteinte à sa valeur économique.

 

Le point commun à ces quatre infractions est l’atteinte à l’e-réputation de la marque qui entraîne un dommage. Ce dernier devra être réparé intégralement en fonction de la réputation de l’entreprise et donc de la notoriété de la marque.

 

Parfois, il n’y a pas de procédure engagée mais la justice des réseaux sociaux peut s’avérer plus terrible pour les marques lorsqu’elles font face à des crises d’image qui portent atteinte à leur réputation.

On se souvient par exemple de cette affaire « Blackface » qui a fait grand bruit aux Etats-Unis, en février 2019, et a causé des difficultés à Gucci. En effet, le tailleur de Harlem Dapper Dan avait posté sur sa page Instagram les propos suivants à la suite de la mise en vente d’un pull passe-montagne sur le site de la marque « Encore une maison de mode qui a commis une erreur scandaleuse. Aucune justification, aucune excuse ne pourront effacer ce genre d’insultes ».

Ce pull passe- montagne était noir et ourlé de lèvres surdimensionnées rouges. Gucci a fait face à des accusations de racisme. Plusieurs personnalités, dont le rappeur 50 cent, ont appelé au boycott de la marque. Gucci a alors présenté ses excuses sur Twitter et retiré de la vente le produit litigieux. La Maison a tout de suite trouvé une parade en mettant en place un programme « Gucci changemakers » réunissant des experts chargés de donner des conseils en matière de diversité, d’inclusion et de culture.

 

La marque Prada avait proposé une figurine noire avec des grosses lèvres rouges en vente en 2019. Elle a aussi été la cible des réseaux sociaux et a fini par la retirer de la vente en publiant un commentaire « La ressemblance de nos produits avec le black face n’était pas du tout intentionnelle, mais nous reconnaissons que cela n’excuse pas les dommages causés. Désormais, nous nous engageons à améliorer nos formations à la diversité et nous allons créer immédiatement un conseil consultatif pour guider nos efforts en matière de diversité, d’inclusion et de culture ».

Ces questions de société préoccupent les marques qui accompagnent leur stratégie marketing de conseils en sciences humaines, et sur certaines cultures et coutumes, pour connaître leur clientèle qui est mondiale.

 

Fin 2022, la marque Balenciaga e été accusée de promouvoir la pédophilie et de sexualiser les enfants. En effet, lors d’une campagne de publicité mettant en scène des enfants, des accessoires et des sacs en peluche clairement inspirés du BDSM étaient mis en scène. La marque a présenté ses excuses et a retiré sa campagne quelques jours après le début des critiques.

Afin de toucher une nouvelle clientèle, les Maisons de luxe ont fait appel à des blogueurs et des influenceurs, qui ont des préoccupations et des centres d’intérêts proches des nouvelles générations. Près de trois mois après le bad buzz et la polémique sur les réseaux sociaux, Balenciaga a annoncé via un post Instagram son engagement en faveur de la protection des enfants et plus particulièrement sa collaboration avec la Nationale Children’s Alliance, une association qui vient en aide aux victimes d’abus sexuels. Cette affaire a connu des rebondissements judiciaires, puisque Balenciaga a déposé plainte, fin novembre 2022, devant la Cour Suprême de New York contre la société de production North Six Inc. et le scénographe Nicholas des Jardins afin d’obtenir réparation pour les dommages importants causés par la campagne publicitaire susmentionnée. Malgré leur communiqué sur Instagram, les vidéos des internautes jetant et brûlant les vêtements et accessoires de la marque devenaient virales et ont été vues par plus de 25 millions de personnes. Même l’une de ses égéries et influenceuse, Kim Kardashian, avait décidé de « réévaluer sa relation avec la marque » en attendant qu’elle prenne ses responsabilités dans cette affaire.

Finalement, le 22 janvier 2024, Kim Kardashian a annoncé sa nouvelle collaboration avec Balenciaga en publiant sur les réseaux une photographie en noir et blanc prise par Antoniou Platon, célèbre photographe documentaire.

 

La gestion de l’e-réputation des marques par les influenceurs…

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Photo à la Une : Unsplash +

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Anne-Katel Martineau
Avocate au barreau de Paris depuis 2006, directrice du département Art et luxe numérique du cabinet LEXING Alain Bensoussan Avocats. Distinguée à plusieurs reprises pour son activité sur des projets internationaux, elle est formatrice et autrice de livres juridiques chez Gualino Editeur (collection expert).
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