Claire Gallon au TedxPantheonSorbonne autour du sujet et si le luxe disparaissait

Au TedxPanthéonSorbonne, Claire Gallon (Havas Group) interroge : et si le luxe disparaissait ?

Le mercredi 4 juin, les TEDxPanthéonSorbonne étaient de retour. A cette occasion, six speakers, dont Jonathan Anguelov, se sont succédé sur la scène de l’amphithéâtre Richelieu. Parmi les thématiques abordées, la disparition du luxe a éveillé la curiosité de Luxus Plus, présent au rendez-vous.

 

Tedx est un format né en 1984 dans la Silicon Valley qui a remis au goût du jour la conférence afin de libérer la transmission de savoir et d’expérience. Le principe : un expert ou passionné, connu ou pas, seul en scène, un temps de parole chronométré, zéro name dropping, zéro powerpoint mais une histoire captivante “qui mérite d’être partagée.” Ce concept a été décliné en France en 2009 par Michel Levy-Provençal qui a créé TedxParis.

 

Des étudiants de la prestigieuse université parisienne de la Sorbonne ont organisé une nouvelle fois le fameux rendez-vous, cette fois-ci une édition What If (et si) promettant des uchronies créatives où la réalité n’est jamais bien loin. 

 

Parmi les speakers, figurait Claire Gallon. Proposant du conseil en anticipation de tendances pour les marques en tant que partner et membre du comité exécutif de The Salmon Consulting (Havas Group), elle est également conférencière et autrice. Celle-ci s’est intéressée au sort funeste qui pourrait attendre la culture ou encore la ville de Paris, si le luxe n’avait soudain plus droit de cité…

 

Son uchronie à elle commence en 2040, un futur bien loin et pourtant si proche. 

 

Au gré de son récit personnel, les dérives contemporaines du luxe se font jour comme l’abolition de la rareté ou encore les questions d’appropriation culturelle. Mais comme le montre Claire Gallon si la crise du luxe est bien une réalité, ce n’est en aucun cas une fatalité. Elle propose d’ailleurs un outil inattendu pour aider le luxe à sortir de l’ornière dans laquelle il semble s’être enlisé. 

 

Scénario catastrophe

 

Claire Gallon a choisi une utopie digne des plus grandes dystopies de science fiction, faisant échos à la ville fantôme de l’ouvrage Les Ruines de Paris de Nathan Devers, Yves Marchand et Romain Meffre : la disparition du luxe.  Nous sommes donc en 2040 et le luxe a disparu depuis déjà 15 ans

 

Sur un ton un brin provocant, Claire Gallon déclare “plus de consommation ostentatoire, plus de logo tapageur, plus d’influenceurs au festival de Cannes. Plus d’influenceurs tout court pour nous vendre le mirage d’une vie que de toute façon, on ne pouvait même pas se payer.”

 

Sur le plan écologique, la nouvelle a de quoi réjouir puisque plus de fashion week rime avec “fin des embouteillages à Paris et surtout 240 000 tonnes de CO2 par an d’économie pour la planète.” Sur le volet social : c’est “la fin des inégalités visibles dans la société.” 

 

Mais derrière cette libération du luxe, se cache une autre réalité plus sournoise : l’assèchement des subventions du secteur dans le domaine culturel. 

 

En 15 ans, la culture a perdu 45 milliards d’euros de financement, le festival de Cannes n’existe plus, les monuments historiques sans rénovation ont fermé. La ville de Paris à elle seule a perdu 18 milliards d’euros depuis la fin des fashion weeks. Des artisans, des coiffeurs, des photographes ont mis la clé sous la porte. En France, ce sont près d’un 1 million de personnes qui ont soudainement perdu leur emploi.” 

 

Dans le même ordre idée, adieu cognac en Charente, porcelaine à Limoges et soierie à Lyon, remplacés par des robots augmentés par l’intelligence artificielle qui fabrique, pour tous, les mêmes vêtements et les mêmes objets “sans histoire ni âme”. Et de continuer : “A l’échelle de l’humanité, c’est 250 ans de savoir-faire qu’on ne sait plus faire alors que l’homme se l’était transmis depuis l’antiquité.”

 

Une aversion grandissante

 

Si le scénario apparaît quelque peu radical, il pourrait être assimilé à cette mise en garde de la reine elfe Galadriel devant un Frodon désemparé à la lecture du miroir magique dans le premier volet de la saga Le Seigneur des Anneaux réalisé par Peter Jackson : “voilà ce qui se passera, si vous échouez.”

 

Or, comme en témoigne Claire Gallon, les signes d’une aversion grandissante au luxe sont déjà là. 

 

Sur 1000 français interrogés en mai dernier, 76%  ont ainsi déclaré que si un jour, le luxe disparaissait, “ça ne changerait rien pour eux personnellement”. 

 

Pour Claire Gallon, si le luxe connaît pour la première fois de son histoire un ralentissement sans précédent, avec une consommation qui chute aux Etats-Unis et en Chine, c’est en grande partie en raison de cette défiance croissante. 

 

Trois reproches ressortent des conversations sur les réseaux sociaux. D’abord, l’opacité de la production. “Le prix élevé est-il vraiment le reflet de la rareté des matériaux, d’une création artisanale ou est-ce qu’on nous prend pour des c*** ?”. Ensuite vient, sa dimension culturelle et plus particulièrement, ces scandales sur fond de diversity washing et d’appropriation culturelle. “Est-ce que je veux être complice? Non merci.” Enfin, elle souligne l’excès des riches, “passés de source de fascination à source d’indignation”. Elle poursuit “le comble pour les Maisons, c’est qu’ils sont à la fois ceux qui font leur business et ceux qui nuisent à  leur réputation.”

 

Des valeurs d’avenir

 

Si Claire Gallon se fait l’avocate du diable ou plutôt des casseurs du luxe pour les besoins de la démonstration, elle en est, quant à elle, convaincue : “le luxe est utile, le luxe est nécessaire et même vital pour l’humanité mais à une seule condition : qu’il sache se réinventer.”

 

Dans le même temps, “le luxe est devenu un bouc émissaire d’un monde qui va mal : miroir de l’entrisme, marque des inégalités sociales, symbole de l’impérialisme occidental.” 

 

Pourtant, le luxe encapsule de nombreuses valeurs essentielles comme “préserver l’humain avant la machine,  prendre le temps de faire les choses bien,  consommer moins mais mieux, léguer sans finalité, s’ouvrir à d’autres cultures, se souvenir du passé, transmettre aux générations futures ou encore investir dans la culture.”

 

On pourrait ajouter un poids grandissant dans la création de valeur en France, où  le secteur est un champion de l’export.

 

La positionnalité à la rescousse

 

Claire Gallon interroge : “comment faire pour que le luxe renoue avec ses valeurs et retrouve un rôle utile dans la société ? Comment peut-il retrouver son acceptabilité ?”

 

La théorie de la positionnalité, concept issu des sciences sociales et théorisé en 1920, peut, selon l’experte du luxe, l’y aider. 

 

Cette méthode s’interroge sur la possibilité d’observer un phénomène de manière totalement objective. De fait, les opinions sont d’abord influencées par notre histoire, notre éducation et notre genre. 

 

Pour triompher de ces biais cognitifs, encore faut-il d’abord comprendre les dynamiques mondiales (tendances sociales, économiques, environnementales). En les cartographiant, il devient possible d’identifier les grands enjeux dans lesquels le luxe a un rôle à jouer. “La positionnalité décrit la manière dont le contexte social et politique façonne votre identité, la manière dont votre identité va influencer, voire biaiser votre vision du monde. En bref, la positionnalité sert à anticiper et à réaliser que le contexte global est plus fort que soi ».

 

Il s’agit ensuite de comprendre les spécificités locales. “Quand on est une marque mondiale, on ne peut pas se comporter partout de la même manière : on doit comprendre les sensibilités culturelles et l’héritage local.” Enfin, il faut mener une introspection sur soi, son ADN, son histoire et son expertise. “C’est au croisement des dynamiques mondiales, des spécificités locales et de cet Adn que l’on peut identifier la positionnalité.”

 

Cette positionnalité est nécessairement “un domaine où je suis légitime de répondre, de résoudre et de contribuer à des enjeux du monde parce que c’est le reflet de qui je suis, de mon action et de mon expertise.”

 

Claire Gallon a ainsi pris deux exemples de défilés, présentés tous deux en 2023. Le premier au Maroc, pays culturellement lié à l’histoire de la Maison de luxe  concernée (Saint Laurent), l’autre en Afrique, pays sans lien apparent avec l’identité de l’autre Maison de luxe (Off-White). Alors que le second semblait mal parti, c’est finalement le premier qui a subi une véritable crise médiatique. En effet, la construction d’une oasis artificielle de 500 m3 d’eau servant pourtant à irriguer des projets avoisinants, investir dans des associations locales et planter des vergers pour créer des jardins éducatifs pour les enfants, a été durement sanctionnée sur les réseaux sociaux. La différence entre les deux ? Le contexte, avec d’un côté, une année exceptionnellement chaude et sèche dans le monde et de l’autre une ode à l’afrofuturisme servie par la marque fondée par Virgil Abloh et valorisant l’artisanat local. 

 

Comme le rappelle Claire Gallon, “le luxe devrait être un signe de culture, signe d’ouverture, d’humanité plutôt qu’un symbole d’ostentation, de richesse et de déconnexion ». “La positionnalité renvoie à l’idée qu’il n’y a pas une vérité objectivement meilleure mais toujours autant de perspectives qui coexistent” complète-t-elle. 

 

Et Claire Gallon de conclure : “Que vous soyez une marque, une Maison, une personne, si vous voulez faire l’exercice de la positionnalité : cultiver vos relations avec les personnes les plus éloignées identitairement de vous.” Pour elle, la positionnalité permettrait au luxe de recréer du commun à l’heure d’un monde fracturé. 

 

Lire aussi > [CHRONIQUE] Quels remèdes au “Luxe Fatigue” actuel ?

 

Photo à la Une :  © Victor Gosselin

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Victor Gosselin
Victor Gosselin est journaliste spécialisé luxe, RH, tech, retail et consultant éditorial. Diplômé de l’EIML Paris, il évolue depuis 9 ans dans le luxe. Féru de mode, d’Asie, d’histoire et de long format, cet ex-Welcome To The Jungle et Time To Disrupt aime analyser l’info sous l’angle sociologique et culturel.
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