[INTERVIEW] Assises Juridiques 2024 : Emmanuelle Hoffman nous explique les enjeux juridiques de l’industrie du luxe et de la mode

Lexposia a créé en 2020 les Assises Juridiques de la Mode, du Luxe et du Design, une journée d’études qui rassemble des professionnels du droit et des dirigeants du monde du luxe. L’expertise de l’avocate spécialisée en propriété intellectuelle Emmanuelle Hoffman a permis de façonner un programme qui aborde les enjeux juridiques de l’industrie du luxe en profondeur. Pour cette quatrième édition, chaque intervenant, expert dans son domaine, contribue à créer un environnement d’apprentissage dynamique et inclusif, favorisant le partage des connaissances et des expériences. Interview.

Emmanuelle Hoffman, lors des assises juridiques de la mode et du luxe 2024, dont vous assurez la direction scientifique, vous avez notamment souhaité mettre en lumière l’adaptation du droit aux nouveaux défis que posent les réseaux sociaux, l’IA et les métavers. Pouvez-vous nous donner un exemple concret de la manière dont ces évolutions technologiques impactent la protection de la propriété intellectuelle des marques ?

Comme nous avons pu le voir lors des assises, les nouvelles technologies impactent les titulaires de droits à bien des égards.

Prenons l’exemple de l’intelligence artificielle : celle-ci peut être utilisée pour surveiller les réseaux sociaux à la recherche d’activités de contrefaçon ou d’utilisation non autorisée de ses produits sur lesquels l’entreprise détient des droits. L’IA pourrait ainsi être formée pour identifier automatiquement les images, les mentions de marque et les produits contrefaits à travers des millions de posts sur les réseaux sociaux.

Car en effet, le développement des réseaux sociaux a également engendré un développement de la contrefaçon en ligne et il est devenu impératif pour les titulaires de droits de contrôler et surveiller ces plateformes, qui prennent de plus en plus consciences de ce phénomène et qui tendent désormais à mettre en place des outils afin de favoriser le signalement de contenus litigieux.

L’intelligence artificielle pourrait également être utilisée afin d’analyser les données en lien avec la contrefaçon en ligne, en identifiant les tendances de la contrefaçon ou encore les marchés sur lesquels les contrefaçons sont les plus répandues. Cela pourrait alors permettre aux titulaires de droits d’élaborer des stratégies de lutte anti-contrefaçon efficaces et ciblées. Concernant le métavers, il y a eu un essor, dès 2023, des demandes de marques spécifiques à cette nouvelle technologie, les titulaires de droits souhaitant notamment se prémunir contre toute atteinte à leurs droits dans des mondes virtuels.

Mais la plus grosse problématique à l’heure actuelle reste la question du traitement des œuvres créées à partir d’une intelligence artificielle générative : qu’en est-il de la licéité de la collecte des données établissant le corpus d’entraînement de l’IA ? Comment dans ce cas déterminer la titularité des œuvres ainsi créées ?

Les nouvelles technologies n’ont pas fini de mettre à l’épreuve les droits et la législation en matière de propriété intellectuelle !

Le luxe français a longtemps utilisé le droit comme un levier de promotion et de protection. Dans le contexte actuel de préoccupations environnementales croissantes, comment voyez-vous l’évolution du rôle du droit dans la promotion de la durabilité et de l’économie circulaire au sein de l’industrie du luxe ?

Le rôle du droit dans la promotion de la durabilité et de l’économie circulaire dans l’industrie du luxe est appelé à devenir de plus en plus crucial à mesure que les préoccupations environnementales continuent de prendre de l’ampleur.

Aussi, les gouvernements tendent à introduire des règlementations plus strictes concernant les pratiques de production, les matériaux utilisés et la gestion des déchets dans l’industrie du luxe.

La France a été précurseur dans ce domaine en Europe avec l’adoption de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire dite « loi AGEC » qui prévoit notamment l’interdiction d’éliminer les invendus.

L’Union Européenne n’est pas en reste, notamment via sa stratégie pour des textiles durables et circulaires qui prévoit notamment, à l’horizon 2030, que « tous les produits textiles mis sur le marché de l’UE sont durables, réparables et recyclables, dans une large mesure, constitués de fibres recyclées, exempts de substances dangereuses, produits dans le respect des droits sociaux et de l’environnement ».

Cela passe également par l’adoption d’un arsenal législatif à vocation environnementale et notamment le Règlement éco-conception (ESPR) ayant vocation à mettre en place l’interdiction de la destruction d’invendus pour certains produits notamment textiles.

Mais les réglementations pourraient également à terme exiger une transparence accrue de la part des entreprises du luxe concernant leur empreinte environnementale, leurs pratiques d’approvisionnement et leurs efforts de durabilité, afin de permettre aux consommateurs de prendre des décisions éclairées et encourager les entreprises à améliorer leurs performances environnementales.

Le droit peut jouer un rôle prépondérant en établissant un cadre réglementaire et incitatif propice à la promotion de la durabilité et de l’économie circulaire dans l’industrie du luxe, contribuant ainsi à atténuer son impact sur l’environnement.

Dans le livre que vous avez récemment publié, le chapitre sur le packaging met en lumière l’importance de la protection juridique du design et de l’esthétique des emballages pour les marques de luxe. Quels conseils donneriez-vous à ces dernières pour maximiser la protection de leurs créations dans ce domaine tout en restant conformes aux réglementations en vigueur ?

La protection de leurs créations pour les marques de luxe est un enjeu majeur trop souvent sous-estimé. En effet, pour certains produits, le consommateur est davantage susceptible de reconnaitre le packaging et l’entreprise qui y est associée que le produit lui-même.

Il est dès lors essentiel pour les marques de luxe de déposer des demandes d’enregistrement pour leurs designs d’emballage et leurs marques associées. Ces enregistrements offrent une protection légale importante et peuvent dissuader les contrefacteurs. Il est également important d’actualiser régulièrement ces enregistrements pour couvrir de nouvelles créations et pour maintenir une protection adéquate.

Les éléments distinctifs de l’emballage, tels que les logos, les motifs spécifiques, les formes uniques ou les matériaux particuliers, doivent ainsi être protégés de manière appropriée. Cela peut inclure des enregistrements de droits de dessins et modèles pour les dessins graphiques, voire la protection par le droit d’auteur, des marques déposées pour les logos et des brevets pour les nouvelles technologies d’emballage.

Mais au-delà de la fonction « marketing » et attractif du packaging, celui-ci a également une finalité d’information du consommateur et certaines législations imposent l’apposition de mentions obligatoires, qui rend particulièrement ardue la tâche des entreprises dans la création de leur emballage. L’on citera ainsi à titre d’exemple le Règlement (UE) 1007/2011 du 27 septembre 2011 sur l’obligation d’étiquetage de la composition des produits textiles ou encore la loi AGEC prévoyant le déploiement d’un nouvel info-tri et le fameux logo « Triman ».

À l’approche des prochains JO 2024, les marques de luxe font aussi face à des défis accrus en matière de communication, liés notamment à l’appropriation des valeurs d’excellence. Quelles sont les évolutions réglementaires majeures en matière de marketing sportif ?

À l’approche des Jeux Olympiques de 2024, les marques de luxe qui s’engagent dans le marketing sportif doivent être conscientes des évolutions réglementaires majeures qui peuvent impacter leurs activités. En particulier, en cette période, la question de « l’ambush marketing » est au cœur des problématiques des marques.

Cette notion se définit comme une « stratégie publicitaire mise en place (…) afin d’associer son image commerciale à celle d’un évènement et donc de profiter de l’impact médiatique dudit évènement sans s’acquitter des droits qui y sont relatifs et sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de l’organisateur de l’évènement ».

Les Jeux Olympiques et de manière générale les grands évènements sportifs ont souvent des partenaires officiels dans diverses catégories de produits et de services. Les marques de luxe doivent alors éviter de s’engager dans des activités qui pourraient être perçues comme une tentative de contournement de ces partenariats officiels, ce qui pourrait entraîner des répercussions négatives sur leur réputation et leur image de marque. Il convient donc d’être particulièrement vigilant dans la construction et la diffusion des campagnes marketing.

Les marques de luxe doivent également être conscientes des droits de propriété intellectuelle et de marque associés aux Jeux Olympiques, y compris les marques déposées, les logos et les symboles olympiques. L’utilisation non autorisée de ces éléments peut entraîner des litiges et des sanctions juridiques.

En suivant de près ces évolutions réglementaires et en adoptant des pratiques de marketing responsables, les marques de luxe peuvent maximiser les opportunités offertes par les Jeux Olympiques tout en évitant les pièges potentiels associés à la communication autour de cet événement mondial.

À la découverte des Assises Juridiques de la Mode, du Luxe et du Design avec son fondateur

À la découverte des Assises Juridiques de la Mode, du Luxe et du Design avec son fondateur LEXPOSIA célèbre cette année un quart de siècle d’innovation dans l’événementiel juridique. Fondée par Frédéric Bonaventura, cette agence est devenue une plateforme offrant formations de qualité et discussions stimulantes aux experts du secteur. La rencontre entre Frédéric Bonaventura et Emmanuelle Hoffman a été décisive dans la conception des Assises Juridiques de la Mode, du Luxe et du Design.

Frédéric Bonaventura, pouvez-vous nous raconter la genèse de cette marque et comment votre expérience antérieure a influencé la création de LEXPOSIA ?

Avant de créer LEXPOSIA, j’ai travaillé dans le secteur informatique où j’ai eu l’occasion de proposer des solutions applicatives aux professionnels du droit.

C’est au cours de cette période que j’ai remarqué un besoin croissant de plateformes dédiées aux professionnels du secteur juridique et réglementaire. Fort de mon expérience dans le domaine informatique et de mon intérêt pour le Droit, j’ai décidé de créer une agence événementielle axée spécifiquement sur les besoins de ces secteurs.

Suite à la récente tenue des Assises Juridiques de la Mode, du Luxe et du Design, qui se sont déroulées le 14 mars 2024 au THE PENINSULA PARIS, pouvez-vous nous expliquer ce qui distingue cet événement que vous avez créé des autres événements du secteur ?

Ainsi LEXPOSIA est-elle devenue plus qu’une simple agence événementielle. C’est une plateforme dynamique où les professionnels peuvent accéder à une formation de qualité, participer à des discussions stimulantes et élargir leurs horizons dans un environnement propice aux échanges.

Les Assises Juridiques de la Mode, du Luxe et du Design sont un événement que nous avons créé et dont nous sommes le producteur, ce qui nous permet d’avoir un contrôle total sur la qualité et le contenu de l’événement.

Lors de la conception de cet événement, notre rencontre avec Emmanuelle Hoffman, avocate spécialiste en propriété intellectuelle, a été déterminante. Sa compétence et sa vision nous ont confortés dans notre démarche. Nous lui avons proposé de diriger le programme de cette journée d’étude en lui présentant notre positionnement stratégique et notre volonté d’ouvrir l’événement à une audience diversifiée, en accueillant non seulement les professionnels du droit et de la conformité, mais aussi les acteurs de l’industrie de la mode et du luxe.

Quels sujets avez-vous personnellement retenus parmi ceux abordés, lors de cette 4ème édition ?

Parmi les sujets abordés cette année, la lutte contre la contrefaçon demeure un enjeu crucial pour l’industrie.

Quant à la durabilité, c’est un sujet de plus en plus central pour les marques. Lors de notre événement, une table ronde sur cette dernière a été animée par Frédéric Galinier, directeur juridique de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode.

Pouvez-vous nous expliquer la politique d’éthique et d’indépendance des Assises Juridiques de la Mode, du Luxe et du Design ? Nous avons appris que vos journées d’étude ne sont pas sponsorisées par des professionnels du droit. Pourquoi ce choix ?

L’éthique est au cœur de la stratégie de nos événements, nous nous devons d’être transparents avec notre public.

Nos journées d’étude sont des formations labellisées Qualiopi pouvant être prises en charge financièrement par les OPCO, et nous ne souhaitons pas qu’elles soient sponsorisées par des professionnels du droit. Nous faisons ce choix délibéré afin de garantir notre indépendance et d’éviter tout conflit d’intérêts potentiel par rapport aux sujets traités.

De plus, nous attachons une grande importance à la diversité du panel et des sujets abordés lors de nos événements. Cette diversité nous permet de traiter un large éventail de questions juridiques et réglementaires pertinentes pour l’industrie de la mode et du luxe, tout en garantissant une perspective équilibrée et inclusive.

Notre priorité absolue est de favoriser la formation et l’accueil de tous les participants intéressés par les enjeux juridiques et réglementaires dans l’industrie de la mode et du luxe. Nous croyons fermement en l’importance de l’accessibilité à l’information et à la formation pour tous les acteurs de notre secteur, qu’ils soient avocats, professionnels du droit ou membres de l’industrie de la mode. De surcroît, nous tenons à souligner que l’élaboration de notre programme est alimentée par nos intervenants eux-mêmes.

Lire aussi>BIBLIOGRAPHIE : “NOUVEAUX MONDES, NOUVEAUX DROITS : À VOS MARQUES” D’EMMANUELLE HOFFMAN

Photo à la Une : © Cabinet Hoffman

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Hugues Reydellet
Hugues Reydellet est un jeune journaliste passionné, dont les sujets de prédilection sont l'économie, la culture, la gastronomie, mais aussi l'automobile et le sport. Avec une plume acérée et une curiosité insatiable, Hugues est constamment à la recherche de nouvelles informations brûlantes à rapporter.

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