Pendant longtemps, l’industrie du luxe a cultivé une image d’exception qui se suffisait à elle-même pour attirer les meilleurs profils. Travailler chez Chanel, Hermès ou Louis Vuitton, c’était rejoindre une maison iconique, accéder à un univers codé, exigeant, presque sacré.
Bien qu’elles figurent encore parmi les employeurs les plus convoités, les grandes Maisons ne peuvent plus uniquement compter sur leur prestige : elles doivent désormais engager une vraie stratégie d’attractivité pour répondre aux nouvelles aspirations des jeunes talents.
La génération Z, désormais entrée dans le monde professionnel, porte un regard radicalement différent sur le travail, l’entreprise et le pouvoir de la marque. Elle ne rêve plus d’un logo, mais d’une culture. Elle ne cherche pas à “faire carrière” dans l’absolu, mais à évoluer dans un environnement aligné avec ses valeurs. Or, sur ce terrain, les Maisons de luxe se retrouvent face à un double défi : rester fidèles à leur identité tout en se rendant désirables aux yeux d’une jeunesse en quête de sens, de reconnaissance et de liberté.
Une désaffection silencieuse mais réelle
Les chiffres le confirment : 61 % des recrutements en France sont aujourd’hui jugés“difficiles” par les employeurs. Dans le luxe, la tension est d’autant plus forte que les exigences métiers sont élevées — savoir-faire, précision, créativité, excellence du service — et que la pénurie de profils qualifiés est structurelle.
Mais au-delà des compétences, c’est une crise d’attractivité qui s’installe, souvent masquée par la puissance de l’image de marque. Les signaux sont clairs : hausse du turnover, difficulté à fidéliser les jeunes recrues, désalignement croissant entre les attentes des nouvelles générations et les pratiques managériales traditionnelles. Ce n’est pas un rejet du luxe en tant que tel, mais une remise en question de certaines de ses structures internes : hiérarchie verticale, manque de flexibilité, promesse de carrière parfois trop lente ou floue.
Une génération en quête de sens, pas de statut
Pour les jeunes actifs, le prestige ne fait plus office de promesse. Ce qui compte, c’est la capacité de l’entreprise à offrir un cadre vivant, évolutif, humain. Le salaire n’est plus le seul critère d’attractivité. La flexibilité, l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle, la qualité du management, l’utilité sociale du travail comptent tout autant — parfois davantage.
Et cette évolution dépasse le luxe. Mais dans un secteur aussi codifié, elle crée un choc culturel d’autant plus fort. Une marque iconique ne suffit plus à garantir l’engagement durable de ses collaborateurs. C’est le quotidien, les rites internes, la liberté accordée, le respect de l’individualité, qui font la différence.
Repenser les fondations du modèle RH
Face à cette transformation, les réponses cosmétiques ne suffisent plus. Un programme de bien-être isolé ou une campagne de recrutement originale ne compensent pas une culture perçue comme verticale ou opaque. Ce qui est attendu, c’est une remise à plat des fondamentaux RH : organisation du travail, management, mobilité, reconnaissance, implication réelle des collaborateurs. Le capital humain devient un levier stratégique au même titre que la création ou la chaîne de valeur. La fidélité ne s’achète plus : elle se construit.
Dans ce contexte, plusieurs leviers RH apparaissent comme structurants pour reconstruire un modèle plus en phase avec les attentes contemporaines :
- Instaurer davantage de flexibilité, en adaptant les conditions de travail aux réalités des métiers ;
- Ouvrir des parcours plus modulaires, plus mobiles, plus internationaux, pour répondre à la quête d’apprentissage et de diversité ;
- Faciliter la gestion des talents globalement, sans alourdir les process, tout en restant conforme aux exigences locales ;
- Valoriser les contributions individuelles de manière plus régulière et authentique, en dépassant les systèmes d’évaluation rigides ;
- Favoriser un mode de travail hybride, mêlant présentiel, télétravail et collaboration à distance, sans sacrifier la culture propre à chaque Maison.
Souvent perçues comme intemporelles, les Maisons de luxe font face à une urgence de transformation. Non pour renier leur singularité, mais pour en faire des fondations compatibles avec les aspirations contemporaines. Cela passe par une culture alignée avec les valeurs qu’elles incarnent, des trajectoires qui font sens, et une confiance réelle accordée aux nouvelles générations.
Le défi n’est pas seulement RH. Il est stratégique. Le luxe, pour rester désirable, doit apprendre à se réinventer — non plus uniquement pour ses clients, mais pour celles et ceux qui le font vivre au quotidien.
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