Luxe contemporain : quelles évolutions majeures par rapport à la période précédente? Et quelles conséquences pour la stratégie de la marque?

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Par Alexandre de Sainte Marie, auteur de « Luxe et marque » (2015) et fondateur de Neapolis

Le luxe contemporain apparaît dans la foulée de la crise américaine des subprimes de 2007 – 2008. Celle ci a en effet modifié en profondeur les comportements d’achat, les rêves et les attentes des clientèles du luxe vis-à-vis des principaux acteurs du secteur, les Vuitton, Cartier, Chanel, Dior et autre Hermès alors en pleine internationalisation. Et l’observateur avisé remarquera en parallèle que cette période post 2007 – 2008 est aussi celle de l’usage exponentiel des réseaux sociaux, lesquels favorisent une accessibilité des marques jusque-là inenvisageable.

Après 2007 – 2008, pour ces deux raisons distinctes et simultanées, le luxe entre dans une nouvelle ère. Il serait tentant de la qualifier d’ère digitale du luxe, mais ce serait (beaucoup) trop réducteur. Une chose est sûre : plus rien ne sera jamais comme avant.

Mais comment caractériser ce luxe contemporain?

Par quatre marqueurs principaux :

. Un contexte géo politique mondial incertain, mouvant et instable, dans lequel une crise paraît chasser la précédente, et où jamais les inégalités sociales et de revenus n’ont été aussi fortes ;

. La nouvelle multipolarité du marché du luxe, à la suite de la formidable expansion internationale conduite par les marques pendant les années 90 et 2000. Plus seulement les Etats-Unis, l’Europe de l’Ouest et les 5 marchés asiatiques historiques (Japon, Hong Kong, Corée Singapour et Taiwan), mais aussi l’Amérique du Sud, l’Europe de l’Est, le Qatar et les Émirats Arabes Unis, l’Inde, la Chine continentale … Et cela avant d’investiguer demain l’Asie du Sud-Est et les pays de l’Afrique sub saharienne !

. Les impacts de cette transformation digitale qui révolutionne non seulement la conception et la réalisation des produits, mais aussi l’expérience de marque vécue par la clientèle dans les boutiques. AR, VR, objets connectés, chatbots … jamais les opportunités d’enrichir cette expérience client n’ont été aussi diversifiées, ni aussi efficaces. Elles favorisent le développement de parcours d’achat inédits combinant site e-commerce et points de vente physiques, et répondant à une nouvelle logique dans laquelle l’achat est valorisé par l’expérience vécue.
Mentionnons aussi l’avènement de nouvelles formes de communication (la vidéo et un usage « mobile first »), ainsi qu’un glissement progressif de l’achat d’espace vers les médias digitaux (souvent jusqu’à 40% du budget total).

. Dernier marqueur, peut être le plus spectaculaire : le renouvellement générationnel, avec des générations Y et Z dont les systèmes de valeurs, les goûts et les attentes n’ont plus rien à voir avec ceux des générations les ayant précédées sur le marché.

La consommation des années du luxe contemporain est une consommation auto centrée, intimiste, individualiste, pour soi ; une consommation qui n’est plus guidée comme auparavant par des préoccupations statutaires et une conduite d’ostentation.

Elle a d’abord pour fonction de permettre au client du luxe d’exprimer sa propre personnalité, son unicité. Il ne s’agit plus de se conformer à un modèle ou de répondre à une quelconque injonction sociale. Il s’agit d’être soi : cet objet de luxe doit avoir du sens pour moi, je dois me reconnaître dans les valeurs portées par la marque et adhérer à celles ci. Et la marque doit aussi me donner des preuves tangibles de son authenticité, de son exclusivité, des engagements sociaux et sociétaux qu’elle prend. Sinon, je me détourne … A un click de la concurrence, la fidélisation n’est jamais acquise …

Cette consommation est aussi le reflet de nouvelles sensibilités d’ordre moral et éthique, à l’œuvre en particulier sur les marchés matures du luxe.

Stella McCartney bannit le cuir de ses collections de maroquinerie ; Alessandro Michele et Marco Bizzarri interdisent la fourrure pour les futures collections Gucci ; John Galliano fait de même chez Martin Margiela ; aux Etats-Unis l’institution Tiffany interpelle le président Trump dans le New York Times en lui demandant de ne pas dénoncer l’accord de Paris sur le climat : ce sont autant de réponses apportées par les marques de luxe aux nouvelles préoccupations se faisant jour chez leur clientèle. Il me semble que la clientèle élargit son champ d’intérêt et d’interactions avec la marque de luxe : plus seulement l’objet mais aussi les services et l’univers déployés par la marque autour de ses objets, jusqu’aux expériences de luxe proposées à l’intérieur de son univers de marque – découvertes « clés en main », moments inoubliables, rencontres improbables avec artisans, maîtres de chais … Un exemple ? Clos 19, la récente initiative digitale prise par Moët Hennessy pour mettre à l’honneur ses différentes marques de champagnes, spiritueux et cognac via la proposition de voyages et séjours d’exception.

Ce luxe contemporain est traversé par une évolution structurelle inédite : la montée en puissance de la clientèle des Millennials chinois, ces jeunes adultes nés entre 1980 et 2000 et dont le pouvoir d’achat ne cesse de progresser.

Ils représentent déjà 30% de la totalité des achats de produits de luxe pour la personne et, surtout, ils vont constituer la très grande majorité des de nouveaux clients du luxe d’ici 2020 – 2025. Le barycentre du marché international s’est inexorablement déplacé vers l’Asie, activé par de jeunes chinoises et chinois qui révèlent de nouveaux comportements, à commencer par une pratique intensive des réseaux sociaux : ils sont en permanence sur Weibo et WeChat, dont les fonctionnalités sont beaucoup plus développées que celles des plateformes européennes. Et ils accordent bien plus d’intérêt et de crédit au « bouche à oreille », aux recommandations des influenceurs, blogueurs, key opinion leaders … qu’au discours officiel des marques, aussi prestigieuses fussent elles. Leur addiction oblige pourtant les marques de luxe européennes à y ouvrir des comptes officiels sous peine de disparaître de la « bataille de l’attention ».

A nouveaux enjeux, nouvelles stratégies !

Toute marque de luxe affronte un défi inédit : celui de devoir séduire individuellement chaque client. Le niveau d’exigence n’a jamais été aussi élevé. Développer de nouvelle collections avec une très forte valeur ajoutée créative est toujours aussi décisif pour un succès durable. Mais cela ne suffit plus. Il faut que la marque de luxe contemporaine sache affirmer des valeurs sociales, sociétales et culturelles ; qu’elle se conduise en tant qu’expression artistique et esthétique. Cela implique de s’adresser à cette nouvelle clientèle sur Internet et les réseaux sociaux en fonction de ce qui l’intéresse, elle (et non plus en fonction des seuls centres d’intérêt de la marque). Alors que nous sommes de plein pied dans l’ère digitale du retail, cela appelle aussi une redéfinition du rôle de boutiques physiques. Elles cessent d’être indispensables pour l’achat d’un objet ou d’un service de luxe : sous la pression du e -commerce, il leur faut évoluer et passer d’un statut de point de vente à celui, bien plus complexe, de lieu privilégié de l’expérience de la marque de luxe.

La marque doit construire une stratégie de différenciation complète, laquelle lui permettra d’être reconnue comme unique et exclusive par sa clientèle, cela grâce à la sublimation des éléments les plus distinctifs de son identité.

Elle devra ensuite être aussi locale que possible pour s’intéresser de manière authentique d’abord à des personnes (en espérant qu’elles deviennent ensuite des clients !). Pour chaque pays de destination cela passe par une réelle sensibilité à la langue, à la culture, à l’environnement social, sociétal, religieux … Il convient d’adapter la communication, les messages, les supports de diffusion … pour tenir compte du contexte et de l’éco système digital local. L’idéal ? Que la marque soit à la fois italienne quand elle parle depuis Milan, japonaise quand elle s’exprime à Tokyo et nord-américaine quand elle prend une initiative à San Francisco …

Enfin elle devra trouver LE point naturel et pérenne d’équilibre entre ses activités digitales et celles conduites dans le monde réel. Privilégier la cohérence de l’ensemble. Reconsidérer toute organisation interne en silos. Supprimer tous ces clivages qui freinent la libre circulation de la clientèle entre les deux expériences de la marque vécues l’une sur Internet et l’autre dans le monde réel de son réseau de boutiques, au contact direct de ses ambassadeurs. Investir dans la création de synergies entre ces deux expériences. Que chacune contribue à une expérience globale de la marque qui soit vraiment exceptionnelle. Placer la Data au service de la création de valeur pour les clients, et Internet au service du luxe (et non le contraire !). Eviter les chausse trappes et les pièges d’une digitalisation excessive des points de vente …

Autant de perspectives rapidement évoquées… Si, pour conclure, je pouvais m’adresser à la marque, je lui glisserais juste ce conseil d’ami : « Gardez l’émotion et l’humain en fil rouge, sachez jouer, prendre des risques et, vous verrez, je suis sûr que l’avenir vous sourira ! »

 

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