Précurseur sur les tendances, le luxe n’hésite pas à recourir aux dernières technologies de pointe dont l’intelligence artificielle. Mais pas question de “faire de la tech pour de la tech” : ces outils doivent avoir un rôle spécifique comme sublimer l’expérience client et s’inscrire dans une logique ROI. Responsable du Pôle Hi’Tech Luxury de Micropole, cabinet de conseil leader sur l’analyse de la data, Marion Scala fait le point sur une transformation digitale réussie dans le retail Luxe & Beauté.
Seulement 47% des clients seraient satisfaits par leur expérience dans le luxe selon une étude du BCG.
Pour enrayer la tendance et raviver la désirabilité du secteur, émotions en boutique et technologie semblent toutes indiquées. Rencontre avec Marion Scala, experte en innovation digitale et expérience client dans le secteur luxe & beauté. En tant que Partner au sein du cabinet de conseil Micropole, elle accompagne les grandes Maisons et Groupes Internationaux dans leurs stratégies d’innovation, de transformation et de croissance. A l’origine de l’Innovation Lab de Guerlain et forte d’une expérience de plus de 10 ans dans le marketing et l’innovation, Marion Scala est également auteure du livre L’Innovation Digitale au service de votre marque, aux éditions De Boeck Supérieur, proposant une méthodologie conseil inédite. Elle intervient régulièrement lors de conférences sur le futur du luxe et des nouvelles technologies.
LUXUS PLUS : Quelles évolutions avez-vous identifiées chez Micropole ces dernières années dans le retail Luxe et Beauté ?
Marion Scala : En 2025, le secteur du luxe a clairement intégré la transformation digitale face à une clientèle de plus en plus connectée. Une étude internationale très intéressante du cabinet Mckinsey prévoit ainsi que d’ici la fin de l’année, 20% des produits de luxe seront achetés en ligne.
J’ai personnellement relevé trois évolutions qui continuent de renforcer le lien entre la marque et ses clients depuis ces dernières années. La première concerne le renforcement de l’omni-canalité avec ce souci de tendre vers une expérience client ultra fluide entre plateforme en ligne et boutique physique. Grâce à des outils de commerce conversationnels et intelligents de type assistant IA, le client peut interagir avec la marque, ce qui améliore le service client et contribue à personnaliser le parcours client.
La deuxième, c’est évidemment le phénomène des expériences immersives. Le live streaming, tout comme la réalité virtuelle, ont été adoptés pour de bon, transformant la manière dont les clients interagissent avec les produits de luxe. Je pense aux événements immersifs en ligne de Lancôme et Dior qui permettent aux clients de participer virtuellement à des défilés ou à des lancements de produits. On sent cette volonté d’aller et venir entre le réel et le virtuel. Enfin, la troisième évolution concerne l’intervention de l’intelligence artificielle. C’est une technologie utile pour analyser les comportements d’achat et anticiper les tendances. Aujourd’hui, les marques intègrent l’IA afin de proposer des produits plus adaptés qui vont correspondre aux préférences des clients. Nous avons, par exemple, des algorithmes avancés qui analysent des millions de points de données pour identifier les tendances émergentes et ainsi permettre aux marques de rester à la pointe de l’innovation.
L+ : Vous avez d’ailleurs développé une approche singulière de l’innovation, la considérant comme la rencontre des deux thématiques a priori incompatibles que sont la créativité et le business. Une complémentarité que l’on retrouve dans votre premier Trend book que vous avez présenté lors de l’événement 20 society. Est ce que vous pourriez nous en dire un peu plus ?
Marion Scala : Cette rencontre entre créativité et business est une approche pragmatique. Souvent, les Maisons ont envie d’être innovantes et créatives, en proposant de nouvelles expériences à leurs clients. Mais il ne faut pas oublier leur enjeu premier : générer davantage de business. Il faut donc façonner l’expérience en mettant toujours la créativité au service du business. L’idée est de ne surtout pas faire de la tech pour de la tech, ou de l’innovation pour de l’innovation mais d’associer et d’encapsuler l’innovation dans un écrin qui soit hyper singulier pour la marque avec les codes de la Maison et un ROI clair et réaliste. Or, l’innovation dans le luxe est souvent pensée de manière un peu gimmick en oubliant l’aspect business. Cette dualité créativité-business est vraiment le maître mot à l’origine du programme Hi Tech Luxury que j’ai développé pour Micropole.
L+ : Cette approche business constitue les coulisses de l’expérience innovante. Mais qu’en est-il du client, en contact direct avec des marques et boutiques créatrices d’émotions ? “L’émotion comme moteur d’attachement” fait partie des trois piliers de la méthodologie que vous avez développée pour penser notamment le retail du futur et l’expérience de luxe. De quoi s’agit-il plus précisément ? En quoi votre accompagnement diffère de ce que l’on peut trouver en général dans le secteur ?
Marion Scala : Pour mettre au point cette méthodologie exclusive à Micropole, j’ai pu m’appuyer sur mes précédentes expériences au sein de l’Innovation Lab de la Maison Guerlain ainsi que dans l’horlogerie pour la Maison Tissot. Cette méthodologie, qui repose sur trois piliers, a pour vocation d’accompagner les Maisons de luxe et de beauté dans leur transformation digitale à travers le prisme de l’expérience client et de l’innovation. La roadmap sur-mesure que nous co-construisons avec une Maison de luxe entraîne une transformation digitale en interne où les métiers impliqués vont monter en compétences sur de nouvelles technologies.
Dans cette méthodologie, il y a trois images clés que j’ai décrites dans le livre. La première, c’est l’œil qui permet d’observer l’environnement de la marque et ses métiers. Ce rôle d’observation externe, proche du consultant, consiste à rendre compte de l’écosystème en l’état. Bien souvent, les Maisons de luxe désirent une transformation digitale mais n’ont pas envie de tout bousculer en interne avec un système qui fonctionne. La deuxième image, c’est le sachet de thé. Il consiste à diffuser en interne des innovations de façon transverse, en continu et de façon homogène afin de ne pas exclure une équipe. On voit que les Maisons de luxe tendent à réduire leurs équipes d’innovation et à penser l’innovation de façon plus transverse. Et c’est essentiel pour justement avoir une transformation de l’écosystème qui soit progressive, diffuse et surtout totale. La troisième image, c’est l’avion. L’idée est de montrer que la marque doit embarquer les équipes, du siège à celles de ses marchés, pour que cette transformation soit optimale. Le risque est de laisser de côté les équipes des filiales qu’il faut au contraire embarquer dans un projet global.
Au sein des trois piliers de cette méthodologie, il y a des outils comme la pyramide de l’innovation. Il s’agit d’une classification des projets par différents degrés de complexité. Il y a la matrice où on vient classer les projets en fonction du degré de perception de l’innovation d’un point de vue client et du degré de complexité. Il faut donc toujours privilégier les projets à haut degré de perception de l’innovation client versus degré de complexité en interne, et ainsi éviter des projets “usines à gaz”.
L+ : En parlant d’innovation, lors de votre dernière présentation à la troisième édition de votre événement 20-Society, vous avez parlé de technologie et d’intelligence artificielle. J’aurais voulu voir avec vous quels rôles les Maisons de luxe confient à l’IA classique et l’IA générative. Lesquels remportent le plus de succès et lesquels restent encore largement sous-estimés ?
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Photo à la Une : portrait de Marion Scala, Partner chez Micropole © Micropole